Pendant des décennies, la France a nourri un mythe séduisant : celui de la femme française, élégante et mince malgré un régime alimentaire riche en fromages, pâtisseries et vin rouge. Ce fameux « paradoxe français », né dans les années 1990, a inspiré des livres, des régimes et des reportages. Mais les recherches récentes dissipent l’illusion : le miracle bordelais n’existe pas.
Tout commence en 1992, quand le cardiologue Serge Renaud, de l’Université de Bordeaux, publie dans The Lancet une étude montrant que les Français consomment plus de graisses saturées que les Américains (108 g contre 72 g par jour), tout en souffrant 30 à 40 % moins de maladies cardiovasculaires. Invité sur le plateau de « 60 Minutes » de CBS, il impose le concept de « French Paradox » à l’opinion mondiale.
Rapidement, l’explication miracle est trouvée : le vin rouge et son antioxydant vedette, le resvératrol. Problème : pour atteindre une dose thérapeutique de 500 mg, il faudrait boire… 40 litres par jour. Une absurdité. Pire encore, une étude italienne publiée en 2014 dans le Journal of Internal Medicine n’a trouvé aucun lien entre le taux de resvératrol et la réduction de la mortalité.
Les données récentes sont encore plus sévères. Selon l’OMS, l’obésité touche désormais 10,18 % des adultes en France (contre 41,64 % aux États-Unis, certes, mais en forte progression). Entre 1997 et 2020, le taux de surpoids a doublé, et chez les 18-24 ans, il a bondi de 70 % en huit ans. Une étude parue dans le British Medical Journal révèle deux biais majeurs dans le paradoxe initial : une sous-déclaration des maladies cardiovasculaires par les médecins français (environ 20 % de moins que dans d’autres pays occidentaux) et une sélection de données trop favorable.
En parallèle, la « McDonaldisation » du pays a bouleversé les habitudes. Avec plus de 1 500 restaurants, la France est devenue le deuxième marché mondial de McDonald’s, accueillant chaque jour plus d’un million de clients. En 2022, on recensait plus de 45 000 fast-foods sur le territoire, soit une explosion en quelques années.
Pour la nutritionniste Marion Nestle (Université de New York), le mythe s’explique par un simple décalage temporel : « Les Français n’ont commencé à manger de façon déséquilibrée que récemment. Les maladies chroniques mettent des décennies à se développer. Les Américains en payent le prix depuis 40 ans, les Français commencent seulement. »
Faut-il pour autant enterrer tout modèle français ? Pas complètement. La culture de la table en France conserve des atouts : trois repas structurés, une faible consommation de snacks, l’importance de la convivialité et de la qualité des ingrédients. Les portions restent plus petites qu’aux États-Unis (40 à 80 % de différence), et les Français marchent davantage : 7 900 pas par jour en moyenne contre 5 100 outre-Atlantique.
La leçon est claire : il n’existe pas de secret national ni de potion magique, mais des principes universels — équilibre alimentaire, activité physique régulière et vigilance sur la taille des portions. Le « French Paradox » était une jolie histoire. Aujourd’hui, il ne reste qu’une évidence : la France n’échappe pas aux ravages de la malbouffe mondialisée.






