La rougeole se propage à Tibériade et révèle une faille profonde entre impératif sanitaire et considérations politiques locales. Alors que sept cas confirmés ont déjà été recensés, les professionnels de santé estiment que le nombre réel de personnes exposées est bien plus élevé. Au cœur de la controverse : l’influence du rabbin Dov Kook, figure centrale de la communauté haredi, qui recommande à ses fidèles de ne pas se faire vacciner. Une position qui, selon des responsables municipaux, pèserait directement sur les décisions du maire Yossi Neve, accusé de céder aux pressions communautaires.

Selon un haut fonctionnaire municipal interrogé, les proches du rabbin auraient transmis un message clair au maire : ne pas promouvoir activement la vaccination dans la communauté ultra-orthodoxe. « Le maire préfère la politique à la santé des enfants de Tibériade », accuse la source, évoquant une coalition municipale reposant largement sur les élus haredim, dont un adjoint rémunéré. « Il ne veut pas créer de tensions inutiles. Il sait parfaitement ce que pense le rabbin, et l’affaire s’arrête là. »

La communication autour du rabbin Kook confirme cette ligne : « La position du rav est de ne pas se faire vacciner, et ceux qui se vaccinent ont plus de problèmes », affirme un proche, ajoutant que la communauté ne se sent pas liée par les directives de la municipalité. Quelques jours avant que Tibériade ne soit officiellement classée “ville en épidémie de rougeole”, une “segoula” écrite de la main du rabbin circulait déjà comme prétendu substitut au vaccin. Dans ce texte, Kook affirmait qu’« il n’y a aucun lien avec ces vaccins imaginaires », invitant ses fidèles à réciter des versets spécifiques et à écouter un certain nigoun comme “protection”.

Dans l’entourage du rabbin, cette position n’est un secret pour personne. L’élu Shimon Cohen, membre du conseil municipal, résume sans détour : « Le rabbin est contre les vaccins. Contre la grippe, contre le Covid, contre tout ça. Autour de lui, personne ne se vaccine : ils disent que c’est une conspiration. Le maire sait exactement ce qu’il pense. Point final. »
Un autre responsable municipal, décrit comme très proche du rabbin, va plus loin : « Si le rabbin me dit de ne pas me vacciner, je ne me vaccine pas. Tout le monde a peur de lui. C’est le tsadik hador, comme le Baba Sali. Il dirige la ville. Le maire n’est qu’une marionnette. »

Ces accusations interviennent alors que plusieurs agents municipaux admettent que la dernière réunion consacrée à la rougeole s’est tenue… il y a plus de deux mois. Le maire a fait circuler une unité mobile de vaccination, publié un message et diffusé une courte vidéo, mais aucune action réelle, systématique ou ciblée n’a suivi. Aucun chiffre précis sur le nombre de personnes vaccinées n’a été communiqué.

La municipalité rejette catégoriquement toutes les affirmations selon lesquelles elle aurait cédé aux pressions religieuses. Dans une réponse publique, la ville affirme que le maire a au contraire convoqué les représentants des partis haredim – y compris proches du rabbin Kook – afin de leur demander d’encourager la vaccination. Elle assure également avoir travaillé avec le ministère de la Santé pour ouvrir des points de vaccination supplémentaires dans les quartiers ultra-orthodoxes et installé une unité mobile devant la mairie, au cœur d’une zone à forte population haredie.

Le ministère de la Santé, de son côté, rappelle que la rougeole reste une maladie grave et pourtant totalement évitable. Tibériade ayant été officiellement déclarée en situation d’épidémie, les parents peuvent faire administrer la deuxième dose du vaccin dès l’âge d’un an et demi. Le ministère recommande aussi une dose supplémentaire pour les nourrissons de 6 à 11 mois dans les villes touchées.
Les autorités réitèrent également un message essentiel : se faire examiner dès l’apparition des symptômes sauve des vies.

Reste une question brûlante, à laquelle le ministère n’a pas répondu : quelles mesures entend-il prendre face aux appels publics du rabbin Kook à refuser le vaccin ?
Dans une ville où l’influence spirituelle pèse lourd sur les décisions publiques, Tibériade découvre à nouveau que l’enjeu sanitaire se double d’un défi politique et sociétal. Et pendant que les institutions hésitent et s’affrontent, le virus, lui, continue de circuler.