L’histoire d’Andrea Respetar, 54 ans, illustre le chemin parfois chaotique mais profondément transformateur de l’alyah contemporaine. Venue de Buenos Aires, mère de trois enfants, enseignante d’anglais et aujourd’hui coordinatrice d’une communauté d’olim argentins à Carmiel, elle raconte un parcours marqué par l’incertitude, la séparation familiale et une conviction devenue inébranlable : Israël est désormais sa maison, même dans les moments les plus difficiles.
Née et élevée dans la capitale argentine, Andrea a grandi au cœur d’une vie juive active. Écoles communautaires, mouvements de jeunesse, fêtes partagées : l’identité juive était un pilier naturel du quotidien. Pendant des années, son mari José l’a encouragée à considérer l’alyah, sans succès. « Je ne me sentais pas prête à quitter l’Argentine », explique-t-elle. Mais la dégradation économique rapide, après les élections de 2019, a servi de déclic. Leur fils Thomas, alors jeune adulte, a été le premier à dire : « C’est le moment ». Andrea a compris qu’il avait raison.
La famille entame alors les démarches via l’Agence juive, qui propose une stratégie inhabituelle : envoyer d’abord les trois enfants – Lucia, 31 ans, Thomas, 27 ans, et Magali, 20 ans – puis permettre aux parents de les rejoindre trois mois plus tard pour accélérer l’intégration linguistique et sociale des plus jeunes.
Mais en 2020, la pandémie frappe. Les frontières se ferment, les vols s’annulent, les vaccins n’existent pas encore. Les enfants se retrouvent en Israël, tandis qu’Andrea et José restent bloqués en Argentine. « C’était un crève-cœur », confie-t-elle. « Je pleurais souvent. L’inconnu, l’éloignement, la peur du virus… C’était une période terrible. »
Après sept mois d’attente, le couple obtient enfin l’autorisation d’entrer en Israël. Ils atterrissent à Tel-Aviv et sont immédiatement placés en quarantaine stricte pendant onze jours dans un hôtel. Une entrée en matière étouffante, mais pas décourageante : à la fin de leur isolement, ils rejoignent Carmiel où les enfants étaient déjà installés. Andrea reprend son métier d’enseignante d’anglais et suit en parallèle l’oulpan. « Les enfants ont appris l’hébreu très vite. Pour nous, c’est plus difficile, mais on avance. »
Le 7 octobre devient un tournant inattendu. L’attaque du Hamas plonge le pays dans la sidération, mais elle renforce paradoxalement la conviction de la famille d’avoir fait le bon choix. « Nous avons eu peur, comme tout le monde, mais c’est dans ces crises qu’on comprend la force d’Israël », explique-t-elle. Elle organise alors un groupe de parole avec une psychologue originaire du Pérou pour soutenir les familles d’olim traumatisées. « Les gens avaient besoin de parler. C’était vital. »
Aujourd’hui, Andrea est coordinatrice pour « LaBayta », une organisation israélienne sans but lucratif dédiée à l’intégration des nouveaux immigrants par la création de réseaux communautaires. Elle accueille chaque nouvel arrivant d’Argentine, écoute ses besoins, l’aide à comprendre les services de la ville, organise des rencontres, des activités sociales et religieuses. « Je suis reconnaissante pour ce rôle. Je vois des familles surmonter les difficultés, apprendre l’hébreu, tisser des liens. C’est très émouvant. »
Mais tout n’est pas simple. Elle avoue avoir encore du mal avec certains aspects de la culture israélienne : « La relation médecin-patient n’a rien à voir. En Argentine, le médecin est presque un ami. Ici, c’est plus impersonnel. »
Et malgré une intégration réussie, elle garde une nostalgie persistante pour ceux restés à Buenos Aires. « Ma famille me manque. C’est le plus difficile. »
Pour le reste, Andrea s’émerveille : Jérusalem est pour elle « le plus bel endroit du pays », et elle affirme que l’esprit familial argentin devrait inspirer les Israéliens : « Passer le week-end en famille, c’est sacré ».
Son parcours, de l’attente angoissante du Covid aux premières années de construction en Israël, illustre une vérité simple : l’alyah n’est jamais un chemin linéaire. C’est une aventure faite de ruptures, de doutes, de chagrins et d’épiphanies – mais c’est aussi l’histoire de milliers de familles qui, comme Andrea et les siens, choisissent de rejoindre Israël malgré tout, pour y bâtir une vie nouvelle et plus forte que les épreuves.






