Au cœur de Netanya, dissimulée derrière une devanture discrète et sans paillettes, se cache l’une des expériences commerciales les plus singulières du pays. Balagan – qui signifie littéralement « pagaille » – est pourtant tout sauf désordonnée : c’est un lieu vibrant, humain, généreux, une boutique pas comme les autres, devenue une référence pour les amateurs de cuisine asiatique, les travailleurs immigrés nostalgiques de leurs saveurs natales, et les curieux à la recherche d’authenticité.

Une avocate, deux métiers et un monde parallèle

À la tête de cette institution improbable, Hani Shem Tov, avocate de profession dans le domaine du droit routier, jongle entre deux carrières à plein temps avec une énergie qu’on a du mal à comprendre. À 63 ans, elle ne se contente pas de gagner des procès – elle construit aussi des ponts entre les cultures. Quand elle parle de sa boutique, c’est avec les yeux qui brillent. Et quand elle vous y accueille, c’est avec le cœur ouvert.

Ce n’était pourtant pas prévu. À l’origine, c’est son frère Hanan qui avait fondé le magasin il y a près de quarante ans, dans une époque où les épiceries spécialisées dans les produits asiatiques étaient aussi rares que les vols vers Bangkok. Il avait flairé l’arrivée massive de travailleurs étrangers en Israël et avait bâti autour d’eux une véritable économie parallèle.

À son décès, Hani a repris le flambeau – non pas par obligation, mais par passion. « Je suis tombée amoureuse de ce lieu », confie-t-elle.

Un vrai voyage sans avion

Oubliez les épiceries chics façon « Asia Lifestyle ». Balagan n’a rien de cela. Ici, l’authenticité prime sur le design. Pas de vitrines bling-bling ni d’aménagement léché. Longtemps, même la vitrine était recouverte de stickers opaques. Ce sont les clients eux-mêmes qui ont demandé à ce qu’on laisse l’endroit tel quel.

Et ils ont eu raison : les étagères débordent d’objets, d’aliments, d’odeurs et de promesses. Des sacs de riz géants, des sauces introuvables, du café au lait chocolaté des Philippines, des desserts au manioc, des épices indiennes, des légumes thaïlandais, de la vaisselle de rue asiatique, et même des snacks vus sur TikTok.

Chaque recoin est une surprise. On passe des îles d’Indonésie aux marchés de Séoul, des étals de Hanoï aux cuisines de Manille. L’endroit semble petit, mais il contient un monde entier.

Un lieu, une âme, une communauté

Mais Balagan, c’est bien plus qu’une épicerie. C’est un espace communautaire informel, un carrefour multiculturel. Pendant la pandémie, les jeunes Israéliens amateurs de cuisine exotique ont rejoint les habitués étrangers. Le vendredi, la boutique se transforme en salon de thé linguistique : on y échange des recettes, des conseils, des anecdotes, et même quelques cours improvisés – « eux nous enseignent le thaï, nous leur enseignons l’hébreu ».

« Ce n’est pas seulement du commerce, c’est de la connexion humaine », explique Hani.

Elle sait que la vie est difficile pour ces travailleurs immigrés, parfois isolés, souvent loin de leur famille. Et elle refuse de les laisser seuls : le week-end, elle livre parfois personnellement à ceux qui se sont éloignés de Netanya. En retour, elle revient avec des légumes fraîchement cueillis et surtout une profonde sensation d’avoir fait quelque chose de juste.

Des prix justes, une atmosphère rare

Dans un pays où le coût de la vie explose, les prix ici restent étonnamment raisonnables. Pas d’arnaque à l’exotisme, pas de supplément « marketing ». Ce que vous voyez est ce que vous payez. Et vous payez moins cher qu’ailleurs, malgré une offre bien plus vaste.

Pas étonnant que les habitués soient nombreux – certains viennent de Tel Aviv, d’autres de Jérusalem, rien que pour retrouver un ingrédient introuvable ou tout simplement ressentir ce parfum d’Asie qui flotte dans les allées.

Un modèle israélien d’ouverture

À l’heure où Israël traverse de nouvelles crises, économiques et sécuritaires, Balagan propose une réponse inattendue mais puissante : celle de l’ouverture, de la solidarité et du respect des différences. Dans un pays souvent divisé, Hani Shem Tov offre, sans même en avoir l’intention, une leçon de vivre-ensemble.

Et ce n’est peut-être pas un hasard si cela vient d’une femme, d’une avocate, d’une sœur en deuil, devenue commerçante, passeuse de culture et gardienne de souvenirs.


Conclusion : Netanya a son trésor – à vous de le découvrir

Balagan n’a pas d’application mobile, ni de campagne marketing, ni même de stratégie de marque. Et pourtant, elle brille par ce qu’elle incarne : une âme, une authenticité, un lien humain.

Vous n’avez pas besoin de passeport pour visiter Bangkok, Manille ou Delhi. Il vous suffit d’un peu de curiosité, d’une carte bleue, et d’une visite dans la rue Pinsker à Netanya.