On vante souvent la « Start-Up Nation » comme le moteur de l’économie israélienne, le secteur où tout semble plus dynamique, plus rémunérateur et plus innovant. Pourtant, une enquête de ManpowerGroup Israël vient briser le mythe : ce sont précisément les salariés de la high-tech qui se déclarent les plus stressés, les plus inquiets pour leur avenir professionnel et parmi les moins satisfaits de leurs conditions de travail.
Selon le rapport, près de la moitié des travailleurs israéliens affirment vivre un stress quotidien d’intensité moyenne à élevée. Et parmi eux, les employés de la high-tech se détachent par une exposition plus forte encore à la pression, au sentiment d’instabilité et à la peur de perdre leur emploi. « Le marché de l’emploi en Israël est dans un état de chaos, une perturbation extrême commencée avec la pandémie et prolongée par la guerre », explique Dror Litvak, directeur général de ManpowerGroup Israël.
Stress, guerre et incertitudes technologiques
L’étude a été menée entre mars et avril 2025, avant même l’éclatement de la guerre avec l’Iran, mais ses résultats résonnent déjà avec l’actualité. Chaque mobilisation, chaque alerte sécuritaire, accentue l’anxiété des employeurs comme des salariés. À cela s’ajoutent les turbulences spécifiques au secteur high-tech : ralentissement des investissements, fermetures de start-up, arrivée massive de l’intelligence artificielle générant un climat de panique.
Si l’on se fie aux chiffres, seuls 60 % des travailleurs de la tech en Israël se disent confiants dans leur sécurité de l’emploi, contre 80 % en moyenne mondiale. Un fossé inquiétant pour un secteur censé incarner l’avant-garde. Le paradoxe est cruel : alors que le salaire moyen augmente, c’est en réalité parce que les juniors – les moins bien payés – sont exclus, ne laissant subsister que des seniors mieux rémunérés mais de plus en plus exposés à la surcharge de travail et à l’instabilité structurelle.
Le poids de la « culture de la disponibilité »
Au-delà des chiffres, l’étude met en lumière un trait culturel : la disponibilité permanente exigée en Israël. Là où en Europe certaines entreprises fonctionnent sur la base de 35 heures hebdomadaires et ferment à 17 heures, en Israël la frontière entre vie privée et professionnelle est poreuse. 76 % des salariés trouvent du sens à leur travail, mais cela ne les protège pas de l’épuisement. « C’est une empathie trompeuse », souligne Litvak : le monde comprend les difficultés sécuritaires israéliennes, mais dans les faits les résultats doivent être livrés, sous peine de voir les filiales locales fermer.
Un fossé générationnel
Les données révèlent également une fracture nette entre générations. Le baby-boom, en fin de carrière, bénéficie d’une sécurité et d’un bien-être relatifs. À l’inverse, la génération Z – les 18-28 ans – affiche le taux de stress le plus élevé (près d’un sur deux), un sentiment d’insécurité, et en particulier les femmes, qui dénoncent des opportunités de carrière limitées. Leurs aînés de la génération Y (30-40 ans), pris entre responsabilités familiales, service militaire de réserve et vie professionnelle exigeante, connaissent eux aussi une pression constante.
La fameuse « impostor syndrome » – le sentiment de ne pas être à la hauteur – frappe d’ailleurs fort en Israël, où les employés déclarent avoir moins confiance en leurs compétences qu’ailleurs. Un terrain fertile pour l’anxiété, à rebours de l’image triomphante de la Start-Up Nation.
Un manque criant de jeunes talents
Autre paradoxe : les entreprises se plaignent d’une pénurie de main-d’œuvre (85 % des employeurs disent manquer de talents), mais elles embauchent de moins en moins de juniors, préférant concentrer leurs ressources sur des seniors expérimentés. Résultat : un effet domino menace la relève. « Les employeurs doivent comprendre que renoncer aux juniors fragilise tout l’avenir du marché de l’emploi », insiste Litvak.
Quand la résilience devient usure
Le rapport souligne une contradiction profonde : l’engagement et le patriotisme des travailleurs israéliens, loués par les patrons étrangers, sont aussi une source d’épuisement. Passer de l’urgence militaire au retour au bureau use les salariés. Et même si, à terme, la fin de la guerre pourrait ramener la confiance et relancer les investissements dans la high-tech, le malaise actuel souligne l’ampleur des défis humains.
Conclusion
Loin de l’image glamour des start-up et des salaires mirobolants, la réalité du high-tech israélien révèle un secteur en tension, où l’innovation et la créativité cohabitent avec l’anxiété et la précarité ressentie. En bas du classement mondial du bien-être au travail, Israël voit son moteur économique fragilisé par le stress de ceux qui en sont la force vive. La Start-Up Nation reste un symbole de résilience, mais sa pérennité dépendra désormais de sa capacité à replacer l’humain au centre – avant que l’épuisement n’épuise l’innovation elle-même.






