La scène paraît familière : des familles israéliennes à la piscine, des conversations en hébreu dans les couloirs, des buffets impeccablement surveillés. Mais nous ne sommes ni à Eilat ni à Tibériade. Nous sommes à Paphos, à 40 minutes de vol d’Israël, sur une île autrefois perçue comme un simple refuge fiscal, et qui s’impose aujourd’hui comme la plus grande infrastructure gastronomique et touristique cacher d’Europe. De vingt-trois années de pionniers à une offre devenue tentaculaire, Chypre réinvente désormais la notion de “vacances cacher” — et attire un public israélien en pleine croissance.
Le constat s’impose dès l’arrivée au WellClub, un nouveau complexe axé sur le bien-être, où la verdure envahit l’espace et où la terrasse remplace le traditionnel réfectoire. “On voulait un lieu où le calme et la nourriture saine se répondent”, souffle son fondateur, Yoni Kahana. Malgré un concept ouvert à tous les publics, la clientèle israélienne y est omniprésente : un environnement discretement compatible avec les exigences halakhiques attire une foule de vacanciers qui cherchent à la fois repos et fiabilité alimentaire.
Cette présence massive n’est pas une coïncidence : Chypre a bâti, en une génération, l’une des plus impressionnantes infrastructures de restaurants cacher, hôtels supervisés, boulangeries, laiteries et services rabbinique hors d’Israël. Un écosystème unique sur le continent européen.
Tout a commencé avec deux valises pleines de poulets
Lorsque le rabbin Ze’ev Raskin débarque en 2001 avec sa femme et leurs huit enfants, il découvre, selon ses mots, une véritable “désert spirituel”. Aucun centre juif, aucune organisation, aucune nourriture cacher — rien. Les premiers repas sont donc improvisés : des valises remplies de viande et de volailles, des minyanim dans le salon familial, et une règle simple : “On ne peut pas demander aux gens de chercher la spiritualité quand leur assiette est vide”.
À la veille d’un Pessa’h, il transporte 400 kilos d’avicoles dans les bagages. Le chargement est presque confisqué par la douane, avant d’être libéré grâce à l’intervention personnelle de l’ambassadeur d’Israël. Cet épisode marque un tournant : « C’était évident que cela ne pouvait plus durer ainsi. Il fallait un système local », confie-t-il aujourd’hui.
C’est ainsi que naît la première véritable chaîne de production cacher locale :
– Farmers Fresh, à Paphos, spécialisé dans les légumes lavés et emballés sous supervision stricte ;
– la boulangerie Afiyat Israel, qui fournit pains et pâtisseries à l’ensemble des hôtels et restaurants cacher de l’île ;
– la laiterie Echangel, première du genre à produire sur place du halloumi cacher au lait Israël, une prouesse technique et logistique.
« Permettre à un Juif de commander du halloumi cacher ici, à Chypre ? C’est une révolution. » affirme le rav Raskin.
Des hôtels cacher à l’année, des fermes, des dîmes et même une fromagerie artisanale
L’essor ne s’arrête pas aux usines.
En 2017, Yoni Kahana inaugure les premiers hôtels intégralement cacher ouverts toute l’année. Après avoir vendu la structure à Issta, il crée “Le Secret Forest”, un domaine niché dans les montagnes, avec serres contrôlées sans insectes, élevage caprin, fromagerie et villas immersives. Un complexe qui accueille depuis le début de la guerre des familles de soldats tués, des blessés de Tsahal et des femmes victimes de violences — un refuge où silence et nature servent de thérapie.
La promenade entre les bassins de soins et les jardins aromatiques révèle un public hétérogène : réservistes lisant au soleil, groupes de femmes en séance de renforcement, familles cherchant quelques jours de respiration. “Ce lieu a une âme”, confie un visiteur. Et le bouche-à-oreille israélien a fait le reste.
Les géants de l’hôtellerie s’y mettent aussi
Le phénomène ne passe pas inaperçu.
À Limassol, City of Dreams Mediterranean, un gigantesque complexe de luxe, ouvre un pavillon entièrement cacher : cuisines séparées, équipes formées, salles à manger dédiées, supervision permanente. Lors de Roch Hachana, 450 convives y dînent dans une ambiance digne des plus grandes destinations touristiques israéliennes.
(Lien officiel du complexe : https://www.cityofdreamsmed.com.cy)
À Larnaca, le réseau LIV Suites propose des villas et des appartements spacieux destinés aux familles traditionnelles. “Le confort, c’est le début de la sérénité”, explique un des responsables. Les cuisines peuvent être préparées à l’avance, l’équipement rendu conforme, et les familles disposent d’espaces réellement adaptés à une vie religieuse — un argument majeur pour Israël, où les locations familiales deviennent coûteuses.
À Paphos, le rav Itzik Eisenbach et son épouse fondent un véritable “quartier cacher” : restaurant viande, restaurant lait, sushi bar, épicerie, mikvé. L’objectif : “Pas seulement cacher. Beau, bon et accessible”.
Même le vin et l’huile d’olive deviennent cacher
Dans la région montagneuse de Lambouri, un domaine vinicole lance deux vins cacher — rouge et blanc — dans la tradition du “vin de Chypre” mentionné dans les sources rabbiniques. Le propriétaire montre avec fierté le certificat de supervision à tous les visiteurs.
À Larnaca, l’huilerie King of Olives produit une huile d’olive vierge extra au rendement très faible, trois à cinq litres par arbre contre dix ailleurs, ce qui enrichit la saveur. La fabrication est certifiée et attire une clientèle israélienne à la recherche de produits authentiques.
La cacherout comme marque nationale
Tout ce réseau est unifié sous “Cyprus Kosher”, l’organisme qui supervise l’ensemble des usines, restaurants, hôtels et services. Le rav Raskin a même créé un bot WhatsApp permettant de vérifier instantanément la certification de chaque produit ou établissement — une innovation rare hors d’Israël.
Sa principale difficulté aujourd’hui ? “La matière première humaine. Il manque des mashgui’him”, sourit-il. “Un bon superviseur doit être pieux, gentil et… dur à la fois.”
Le flux de touristes s’ajoute à une vague croissante de familles israéliennes qui s’installent sur l’île. “Je les supplie de rester en Eretz Israël”, reconnaît-il. “Mais s’ils arrivent ici, je les aide. Je suis là pour servir, et j’adore ça. Je me lève le matin impatient de boire mon café à la synagogue et commencer la journée.”
En quittant Chypre, on comprend ce qu’il veut dire. L’île a cessé d’être une échappatoire. Elle est devenue un foyer juif vivant, porté par vingt-trois ans d’efforts, d’infrastructures, de supervision méticuleuse et d’accueil chaleureux. Ce qui a commencé par deux valises de poulets débouche désormais sur la plus grande révolution cacher d’Europe, et l’histoire est loin d’être terminée.






