Peu de visiteurs franchissent les portes de la Maison-Blanche en décembre sans se fondre dans le décorum protocolaire de Washington. Encore moins y arrivent avec des papillotes hassidiques, une kippa noire et un volume de Guemara sous le bras. Et pourtant, c’est exactement ce qu’a fait Shalom Lemmer, chanteur hassidique américain, invité d’honneur des réceptions officielles de Hanoucca organisées cette semaine à la Maison-Blanche, en présence du président Donald Trump.

À première vue, Lemmer n’a rien d’une célébrité internationale. Il ressemble à n’importe quel hassid de Belz : costume sombre, barbe soignée, voix douce et retenue. Mais derrière cette apparence discrète se cache l’un des ténors les plus singuliers de la scène juive contemporaine, capable de remplir des salles entières aux États-Unis et en Europe, sans jamais renoncer à son identité religieuse.

Invité dans une interview radiophonique très suivie, Lemmer a raconté comment cette invitation est arrivée presque par surprise. « J’ai reçu un courriel officiel de la Maison-Blanche. Ils me demandaient si j’acceptais de participer à la fête de Hanoucca… et de chanter. Bien sûr que j’ai dit oui. C’est un immense honneur. » L’événement ne se limitait pas à une seule réception : deux cérémonies étaient prévues, l’une en fin d’après-midi, l’autre le soir, devant un public plus politique et institutionnel.

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Dès le matin, Lemmer était déjà sur place pour répéter avec l’orchestre militaire officiel des États-Unis, formation prestigieuse qui accompagne les cérémonies d’État les plus solennelles. Le choix du morceau n’était pas anodin. Il n’a pas interprété l’hymne national, mais God Bless America, considéré comme un second hymne officieux du pays. « Ce qui est fascinant, explique-t-il, c’est que cette chanson a été écrite par un Juif, Irving Berlin. Lui-même racontait que l’expression “God bless America”, il l’avait entendue de sa mère. Très probablement en yiddish. »

C’est donc en yiddish que Lemmer a choisi de chanter, allant encore plus loin en adaptant l’intégralité des paroles dans cette langue. Face à lui, des responsables politiques, des leaders communautaires, mais aussi le président Trump lui-même. « Je n’ai pas vraiment parlé avec lui, raconte le chanteur, mais après que j’ai fini de chanter, il est monté sur scène et je me suis retrouvé juste à côté. Quand il a pris la parole, il m’a regardé et m’a salué d’un signe de tête. » Un geste bref, mais lourd de symbole pour un artiste qui n’a jamais cherché à lisser son identité pour plaire.

Au-delà de la performance musicale, la présence de Lemmer à la Maison-Blanche s’inscrit dans un parcours atypique. Il est l’un des tout premiers chanteurs hassidiques à avoir signé un contrat avec un grand label international, Universal Music Group, sans jamais renoncer à ses principes religieux. « On m’a proposé des choses que je ne pouvais pas accepter. Mais il y a aussi des endroits où, justement, le fait d’être qui je suis devient un message. Être à la Maison-Blanche, chanter en yiddish, c’est un kiddouch Hachem. »

Selon lui, loin de susciter un malaise, cette fidélité à soi-même inspire le respect. « Ils apprécient quand quelqu’un vit sa vérité et ne cherche pas à se déguiser. » Dans un contexte international marqué par une montée inquiétante de l’antisémitisme, Lemmer voit sa musique comme un pont. « Des gens viennent me voir après les concerts et me disent : “Je n’avais jamais rencontré un Juif comme toi. Maintenant je vois que tu es simplement un être humain.” Parfois, un sourire ou une chanson peuvent faire plus qu’un long discours. »

Mais l’épisode le plus inattendu de son séjour à Washington n’a pas eu lieu sur scène. Entre deux répétitions et deux cérémonies, Lemmer a reçu une pièce pour se reposer. « Je savais que j’allais passer toute la journée là-bas, alors j’ai pris ma Guemara avec moi. Je me suis assis et j’ai étudié. Et je me suis demandé : qui, avant moi, a étudié le Talmud dans ces murs ? Peut-être il y a cent ans… » Dans les couloirs feutrés du pouvoir américain, un hassid de Belz étudiait un texte millénaire, loin des caméras et des discours.

Interrogé sur la suite, sur d’éventuels sommets encore plus élevés, Lemmer balaie la question avec simplicité. « Je n’y pense pas vraiment. Je n’ai rien planifié. J’ai été invité, je suis venu. C’est tout. » Une modestie qui contraste avec la portée symbolique de la scène : un chant yiddish à la Maison-Blanche, à Hanoucca, devant le président des États-Unis.