Les compagnies aériennes australiennes ont déclenché un tremblement discret mais profond dans l’industrie du transport aérien : dès le mois de décembre, les passagers ne seront plus autorisés à utiliser leur batterie externe durant le vol, ni à la placer dans la soute. Cette décision, qui fait suite à des incidents récurrents impliquant des surchauffes d’appareils, marque un tournant dans la manière dont les compagnies gèrent les risques liés aux dispositifs au lithium. À peine annoncée, la mesure a rejoint un mouvement international déjà amorcé par plusieurs compagnies du Golfe, dont Emirates, renforçant l’idée que le monde de l’aviation se prépare à une nouvelle ère de restrictions liées aux technologies de consommation.

La mesure australienne répond à une préoccupation qui grandit depuis des années : la dangerosité potentielle des batteries externes. Si ces accessoires sont devenus indispensables pour la majorité des voyageurs — depuis les professionnels travaillant en transit jusqu’aux familles utilisant smartphones et tablettes pour occuper les enfants — leur fiabilité n’est pas absolue. Plusieurs normes internationales, notamment celles recommandées par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (ICAO), soulignent la nécessité d’encadrer strictement le transport des batteries au lithium, en raison de leur capacité à s’enflammer en cas de choc, de défaut de fabrication ou de surchauffe.

Le “point de rupture” évoqué par l’autorité aéronautique australienne renvoie à un incident précis : en juillet, un vol de Virgin Australia a dû gérer en plein vol l’embrasement d’une batterie portable qui avait surchauffé au-dessus d’un siège. La scène s’était limitée à quelques minutes d’angoisse grâce à l’intervention rapide de l’équipage, mais elle a suffi à convaincre les régulateurs que la situation ne pouvait plus être laissée à la seule vigilance des équipages. La multiplication des cas documentés dans le monde — selon Reuters, plus de 130 incidents liés à des batteries au lithium ont été rapportés dans l’aviation commerciale en 2023–2024 — a rendu la décision australienne presque inévitable.

Dès début décembre, les règles seront strictes : toute batterie externe devra voyager dans le bagage cabine, à portée de vue du passager, et restera inutilisable tout au long du vol, du décollage à l’atterrissage. Virgin Australia fixe une limite de deux batteries externes par voyageur, avec obligation de déclarer tout modèle dont la capacité dépasse 100 Wh afin de recevoir une autorisation spéciale. D’autres compagnies australiennes, dont Qantas, Jetstar et Australia Airlines, ont déjà annoncé qu’elles suivraient la même ligne à partir de la mi-décembre, signe d’une coordination nationale sur un sujet désormais considéré comme prioritaire.

La mesure, naturellement, a soulevé un mélange de frustration et de compréhension parmi les voyageurs. Pour les passagers des vols long-courriers, notamment ceux reliant l’Australie à l’Europe ou aux États-Unis — parfois plus de 20 heures de trajet avec escales — l’impossibilité de charger un smartphone ou un ordinateur représente une gêne réelle. Les compagnies rétorquent que la sécurité prime sur le confort et rappellent que, même si l’immense majorité des avions récents disposent de prises USB ou de ports électriques intégrés, ceux-ci ne sont pas conçus pour supporter la recharge rapide de batteries externes de grande capacité.

Le secteur touristique australien, qui cherche encore à se relever après les années post-pandémie, redoute que la mesure complique les voyages d’affaires ou les vols familiaux, deux segments essentiels pour sa relance. Toutefois, plusieurs experts interrogés dans la presse locale estiment que cette décision pourrait au contraire rassurer les voyageurs inquiets des risques d’incendie à bord. L’idée d’un avion rempli de batteries au lithium non contrôlées est depuis longtemps une source d’inquiétude, largement relayée par les autorités aériennes, qui rappellent régulièrement que ces dispositifs, mal stockés, peuvent provoquer des incendies impossibles à éteindre en vol sans intervention immédiate.

Dans les coulisses, les compagnies se préparent à renforcer la formation des équipages. Les batteries externes entrent désormais dans la catégorie des “risques de cabine” exigeant une surveillance renforcée : annonces dédiées avant décollage, vérifications visuelles, signalement immédiat au moindre signe d’échauffement. Certaines compagnies envisagent également d’installer de petites boîtes ignifugées à bord, capables de contenir une batterie en combustion, une technologie déjà utilisée dans la gestion des smartphones de passagers interdits de vol, comme les Galaxy Note 7 en 2016.

Ce durcissement n’est pas propre à l’Australie : Emirates avait déjà annoncé des mesures similaires, interdisant le transport des batteries dans les bagages enregistrés et limitant leur utilisation en cabine. D’autres compagnies du Golfe, notamment Qatar Airways et Etihad, étudient activement la possibilité d’appliquer des restrictions comparables en 2026. L’Europe, où les règles sont déjà strictes, pourrait également renforcer son cadre réglementaire. Certaines agences, dont l’EASA (Agence de la sécurité aérienne de l’Union européenne), recommandent depuis plusieurs mois d’évaluer l’interdiction totale de la recharge des batteries externes en vol.

L’enjeu n’est pas seulement technique : il est économique. Comme le souligne un rapport de l’Association internationale du transport aérien (IATA), les incidents liés aux batteries externes coûtent des millions de dollars chaque année en retards, en remplacements de sièges brûlés, en enquêtes internes et en primes d’assurance. En période d’inflation du secteur aérien et de fragilisation financière de certaines compagnies, la réduction de ces risques devient un impératif économique autant que sécuritaire.

Pour les voyageurs du monde entier, cette nouvelle réalité impose de nouvelles habitudes. Il faudra charger les appareils avant le vol, emporter des câbles compatibles avec les prises de l’avion, ou accepter que certains trajets se fassent désormais avec un smartphone dont la batterie ne tient pas tout le voyage. Une perspective qui peut sembler mineure mais qui, appliquée sur des dizaines de millions de passagers, transforme profondément l’expérience de vol.

Au final, cette décision, née d’un incident passé presque inaperçu, illustre parfaitement l’évolution de l’aviation moderne : le moindre signe de danger lié aux appareils électroniques déclenche une révision globale des procédures, dans un secteur où l’erreur n’a aucune marge de manœuvre. Dans un monde de plus en plus dépendant des smartphones et des technologies portables, l’aviation commerciale rappelle que la sécurité ne négocie jamais — et qu’elle continuera, malgré les contraintes, à privilégier la protection des passagers au moindre coût apparent en confort.