Les images publiées ces derniers jours depuis la zone forestière de Kadita, en Haute Galilée, ont provoqué un haut-le-cœur national : des tas entiers de plumes, des carcasses dispersées, des douilles de fusil de chasse, et une scène rappelant un véritable champ de bataille. Selon les associations écologistes, des centaines de “pigeons géants” (Columba palumbus) auraient été abattus en quelques heures par des chasseurs opérant avec permis, dans le cadre de la saison de chasse israélienne.

Face à l’ampleur des tueries, la Société pour la protection de la nature en Israël (SPNI) a adressé une demande urgente à la ministre de la Protection de l’environnement, Idith Silman, pour imposer une interdiction immédiate et exceptionnelle du tir de ces oiseaux, espèce rare et menacée sur le territoire israélien.


Les clichés, diffusés initialement sur les réseaux sociaux et ensuite relayés par Israel Hayom, N12 et Ynet, montrent un tapis de plumes couvrant le sol. L’odeur de poudre et de sang, les amas de plumes mêlés à des douilles vides et des détritus abandonnés par les chasseurs, ont alimenté une indignation nationale rarement vue dans un dossier environnemental.

Selon l’analyse de SPNI, les chasseurs disposaient d’autorisations légales : la chasse est permise du 1er septembre au 31 janvier. Mais l’association souligne que la réglementation n’est plus adaptée à la réalité écologique actuelle — ce qui rend possible des massacres malgré la loi.


Une espèce rare, migratrice, et déjà en déclin

Dans sa lettre à la ministre Silman, la SPNI rappelle que :

« Le pigeon géant est une espèce rare en Israël. Pendant l’hiver, seuls quelques milliers d’individus migrateurs arrivent d’Europe du Nord. La population nicheuse locale se limite à quelques dizaines de couples. »

Les chiffres sont alarmants :
– une population nationale estimée à quelques milliers seulement,
– des colonies concentrées dans quelques sites de repos nocturnes,
– une vulnérabilité extrême au tir de masse.

Cette concentration saisonnière crée un phénomène explosif : quelques chasseurs équipés de fusils modernes peuvent décimer une part significative de la population en une seule sortie.

Les vidéos prises à Kadita montrent précisément ce type d’abattage industriel.


La colère des écologistes : “La liste des espèces chassables est archaïque”

Le SPNI accuse directement la réglementation :

« La liste des espèces autorisées à la chasse, annexée à la Loi pour la protection de la faune sauvage, est archaïque, non mise à jour et ne reflète pas les enjeux écologiques actuels. »

Pour l’association, l’État a manqué à son devoir de gestion de la biodiversité.
Les espèces autorisées à la chasse n’ont pas été réévaluées depuis des années — alors même que leur statut a radicalement changé.

La SPNI demande :

  1. Un décret immédiat interdisant la chasse du pigeon géant pour toute la saison.
  2. Une réforme structurelle : que la liste des espèces chassables soit dorénavant définie par l’Autorité de la nature et des parcs (Rashut HaTeva VeHagan), et non par un mécanisme législatif rigide impossible à mettre à jour.

La ministre Silman sous pression

Idith Silman, ministre de la Protection de l’environnement, se retrouve face à une indignation croissante.
Son ministère doit choisir entre maintenir une réglementation obsolète — ou imposer une mesure d’urgence, en s’aliénant potentiellement le lobby des chasseurs.

Les débats internes portent non seulement sur les images de Kadita, mais aussi sur un problème plus profond : la chasse en Israël repose en grande partie sur une législation ancienne, très permissive, et souvent incohérente avec les exigences écologiques contemporaines.


Un vide juridique dangereux : quand la loi autorise la destruction

La saison de chasse, fixée de manière fixe chaque année, ne tient pas compte :

– des fluctuations des populations migratrices,
– des sécheresses répétées,
– des incendies massifs qui ont réduit les habitats,
– de la pression croissante exercée par l’urbanisation,
– et des menaces prédatrices (renards, chiens errants).

En d’autres termes :
la loi permet de chasser comme si le pays était encore dans les années 1970.

Résultat : une espèce déjà fragile peut être décimée légalement en l’espace d’une semaine.


Les images de Kadita : une scène qui rappelle les pires pratiques de chasse

Les photos prises par la photographe Inbar Schnitzer montrent :

– des monticules de plumes blanches, grises et bleues ;
– des douilles rouges et vertes abandonnées sur place ;
– des traces de sang ;
– des oiseaux abattus dans des zones protégées ;
– une absence totale de contrôle ou de supervision.

Ce type de scène correspond, selon plusieurs vétérinaires interrogés par N12, à un tir intensif à courte distance — typique d’une chasse aux dortoirs, interdite dans plusieurs pays européens.


Le problème n’est pas seulement celui des chasseurs — mais celui de l’État

La SPNI ne s’attaque pas frontalement aux chasseurs.
Elle s’en prend au système :

« La dynamique démographique des espèces sauvages évolue plus vite que les législations. Le maintien d’une liste fixe d’espèces chassables est irresponsable sur le plan scientifique. »

La demande d’urgence est donc double :
– protéger immédiatement les pigeons géants,
– réformer en profondeur le système d’autorisations.


Entre morale, biodiversité et politique environnementale nationale

Cet épisode met en lumière un enjeu central pour Israël :
comment concilier tradition cynégétique, gestion scientifique de la faune et protection de la biodiversité ?

Dans un pays déjà bouleversé par les crises sécuritaires et climatiques, l’environnement reste souvent relégué au second plan.
Mais l’affaire de Kadita impose un débat :
est-il moralement et écologiquement acceptable de permettre le tir de masse sur une espèce rare ?

L’enjeu dépasse la Galilée.
Il touche à la réputation internationale d’Israël en matière de protection de la nature, à la crédibilité de ses institutions et à la capacité de l’État à adapter ses lois à la réalité.

Les défenseurs de la nature réclament qu’Israël rejoigne les standards occidentaux modernes — ceux qui placent la responsabilité écologique au-dessus du loisir cynégétique.


Un moment de vérité pour la protection de la nature en Israël

Le massacre de Kadita pourrait devenir un tournant, ou un non-événement politique.
Tout dépendra de la décision de la ministre Silman.

Interdire exceptionnellement la chasse aux pigeons géants serait un geste minimal mais symbolique.
Réformer la loi serait un engagement historique.

Mais ne rien faire serait un signal dévastateur :
que même face à un carnage filmé, l’État ne bouge pas.

Dans les plumes éparpillées de Kadita se joue, peut-être, bien plus qu’un scandale local :
le rapport profond d’Israël à sa terre, à sa nature et à sa responsabilité écologique.