C’est un virage économique et politique majeur : après des mois de négociations tendues, le gouvernement israélien et la société ICL (Israel Chemicals Ltd) ont signé un accord mettant fin au privilège exclusif d’exploitation du sel, du potassium et des minéraux de la Mer Morte. En échange de l’abandon de son droit de préemption sur le futur appel d’offres de 2030, la multinationale recevra 8 milliards de shekels de compensation.

Derrière cette transaction se cache un enjeu colossal : la Mer Morte n’est pas seulement un site touristique, mais une mine de richesses industrielles — potasse, brome, magnésium et sels utilisés dans l’agriculture, la médecine et la haute technologie. Depuis les années 1950, la société, autrefois connue sous le nom de “Dead Sea Works”, bénéficiait d’un quasi-monopole hérité de la privatisation partielle menée dans les années 1990 sous le gouvernement Rabin.

L’accord, négocié par le Trésor israélien et validé par le ministre des Finances Bezalel Smotrich, marque la fin d’un modèle opaque où l’État avait peu de contrôle sur les profits. Désormais, l’exploitation sera ouverte à la concurrence internationale via un nouvel appel d’offres prévu pour 2027, avec un cahier des charges plus strict sur la fiscalité, la transparence et la protection de l’environnement.

Selon les termes du compromis, ICL renonce à la clause de “droit de refus” inscrite à l’article 25 de la loi sur la concession. Ce texte accordait à l’entreprise la possibilité de conserver l’exploitation même en cas de perte du marché, en égalant toute offre concurrente. Une disposition qui bloquait toute concurrence réelle.

En contrepartie, l’État versera 2,54 milliards de dollars pour la valeur des actifs reconnus, tout en prenant en charge une partie des investissements futurs liés au “retrait du sel” — une opération coûteuse visant à stabiliser les bassins du sud de la Mer Morte.

Le propriétaire d’ICL, l’homme d’affaires Idan Ofer, héritier d’un des plus puissants conglomérats israéliens, a salué “un accord responsable et pragmatique qui assure la continuité économique et la stabilité des emplois dans la région d’Arad et d’Ein Bokek”. Environ 3 000 employés dépendent directement des activités du groupe.

Mais du côté des ONG écologiques, la satisfaction est mitigée. Le mouvement “Sauvez la Mer Morte” dénonce “une compensation excessive versée à une entreprise déjà responsable de graves dégâts écologiques”. Le niveau de la mer, en baisse de plus d’un mètre par an, est en grande partie lié à la surexploitation des eaux et à l’évaporation industrielle.

“Le public israélien paie le prix de décennies de laisser-faire”, accuse la militante Tamar Zandberg, ancienne ministre de l’Environnement. “On indemnise le pollueur au lieu de le contraindre à restaurer le site.”

Le ministère de l’Énergie se défend en soulignant que le nouvel appel d’offres inclura une redevance sur l’utilisation de l’eau extraite de la Mer Morte et un fonds de réhabilitation écologique financé par le futur concessionnaire. Une partie des bénéfices devrait également être versée à un fonds public destiné à financer des infrastructures dans le Néguev.

L’accord marque aussi une victoire politique pour le gouvernement de Benjamin Netanyahou, qui cherche à renforcer l’image d’une économie nationale ouverte, innovante et responsable. “C’est un signal fort : Israël protège à la fois ses ressources et sa souveraineté économique”, a déclaré un haut responsable du Likoud.

L’impact boursier n’a pas tardé : les actions d’ICL ont chuté de plus de 12 % à la Bourse de Tel Aviv, signe de la perte de privilèges historiques. Mais plusieurs analystes estiment que la société pourrait à nouveau candidater à la future concession, “avec un modèle plus transparent et des conditions égales”.

Pour les économistes, l’enjeu dépasse la seule exploitation minérale. Le “nouveau contrat de la Mer Morte” redessine la frontière entre intérêts publics et privés dans un pays où les ressources naturelles — du gaz offshore au lithium du désert d’Arava — deviennent un champ de bataille stratégique.

“L’ère des monopoles héréditaires touche à sa fin”, résume le journaliste Guy Rolnik de The Marker. “Ce dossier n’est pas seulement une question de sel, mais de souveraineté économique. Israël se réapproprie enfin la Mer Morte.”