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Au chapitre 8, après la mort d’Haman, préoccupée par le décret d’extermination des Juifs le 13 Adar, Esther supplie Assuérus d’annuler le décret royal. L’abrogation n’étant pas possible, le souverain permet à Mordechai et Esther d’écrire une nouvelle ordonnance stipulant l’interdiction de toutes violences envers les Juifs.

Dans cette même missive, Mordechaï les autorise à se mobiliser le 13 Adar et se défendre, leur permettant même de détruire, tuer et exterminer tous leurs ennemis, y compris leurs femmes et leurs enfants (vraisemblablement non combattants).

« [Il déclarait] que le roi autorisait les Juifs, dans chaque ville, à se rassembler et à défendre leur vie, en exterminant, en tuant et en détruisant tout attroupement de populace qui les attaquerait, y compris les femmes et les enfants, et à faire main basse sur leur butin. » (Esther 8:11)

La possible hécatombe d’un grand groupe d’hommes, de femmes et d’enfants sans défense a certainement dérangé de nombreux commentateurs médiévaux.

Par exemple, Abraham Ibn Ezra (vers 1092-1167, Espagne) écrit (Esther 8 : 8):
« Pourquoi Mordechai a-t-il écrit que les Juifs devaient tuer leurs ennemis? Ne serait-il pas suffisant pour lui et pour eux qu’ils (les Juifs) s’échappent? »

Joseph ibn Kaspi (vers 1280-1340, Provence) justifie le massacre juif en redéfinissant le mot « leyinakem » en 8:13 comme autodéfense, par opposition à la traduction habituelle, « vengeance/venger ».

Levi ben Gershom (1288-1344, Provence) identifie la population massacrée comme étant des Amalécites, rendant ainsi le massacre plus acceptable.
Le texte lui-même semble moins gêné par le massacre la tuerie que les commentateurs eux-mêmes.

Le verset 13 note la promulgation:
« La teneur de l’écrit portait qu’un édit fût promulgué dans chaque province et porté à la connaissance de tous les peuples pour que les juifs se tinssent prêts, pour ce jour, à se venger de leurs ennemis. »
Le chapitre se termine au verset 17 avec de nombreuses personnes adoptant les coutumes juives ou changeant leurs affiliations politiques pour être plus philosémites.

« …Un grand nombre parmi les gens du pays se firent Juifs, tant la crainte des Juifs s’était emparée d’eux. »

Au chapitre suivant, nous voyons effectivement les Juifs se rassembler le 13 Adar pour en découdre avec leurs ennemis, défendre leur vie et faire face aux pogromistes, sans rencontrer aucune résistance.
Et au verset 5, il est écrit que les Juifs ont vraiment fait comme Mordechaï l’avait permis, attaquant à l’épée et tuant et exterminant leurs ennemis.

« Les juifs exercèrent donc des sévices parmi tous leurs ennemis, en frappant du glaive, en tuant, en détruisant, et ils traitèrent à leur gré ceux qui les haïssaient. »

L’expression «se défendre» est utilisée uniquement pour décrire les combats dans les provinces (Esther 9,16). Dans la capitale Suze, ne figure aucun témoignage d’une réelle opposition. Dans l’ensemble, les versets semblent indiquer que les Juifs ont attaqué leurs ennemis sans provocation immédiate, aucune mention de Juifs agressés, aucune mention de victimes parmi les Juifs.
Selon cette lecture, il semblerait que les Juifs se soient livrés à un massacre massif d’une partie de la population totalement intimidée et sans défense.

Selon la Méguila, les Juifs tuèrent 500 hommes dans la forteresse de Suse (9 :6)
« Dans Suse, la capitale, les Juifs tuèrent ainsi et exterminèrent cinq cents hommes »

75 000 dans les provinces (9 :16) le 13 Adar.
« Les autres Juifs, établis dans des provinces du roi, s’étaient rassemblés pour défendre leur vie et se mettre à l’abri de leurs ennemis et avaient tué soixante-quinze mille de ceux qui les haïssaient, sans mettre la main sur le butin. »

Le lendemain (le 14 Adar), à Suse même, les Juifs tuèrent 300 autres individus (9:15).
« Les Juifs, présents à Suse, se rassemblèrent donc encore le quatorzième jour du mois d’Adar et firent périr à Suse trois cents hommes; mais ils ne touchèrent pas au butin. »

Que signifient ces chiffres ?
En les prenant au pied de la lettre, est-ce que 75 000 morts dans les provinces et 800 morts dans la capitale représentent un grand nombre de victimes?
Parlons-nous d’une population déchaînée, criminelle, contre les juifs, durant cette période de l’histoire?
Ou, pourrait-il s’agir d’une petite proportion des habitants de Suse et des provinces?

L’histoire d’Esther se déroule au début du 5ème siècle avant notre ère et fut transcrite à la fin de la période perse ou au début de la période grecque. Nous ne savons pas vraiment, avec certitude, quelle était la démographie de la Perse à cette époque, mais nous pouvons, peut-être, nous en faire une idée grâce à nos connaissances du monde gréco-romain. D’après leur recensement, le nombre total de citoyens romains au troisième siècle avant notre ère semble avoir été environ de 242 000 à 337 000. En utilisant les estimations de la population romaine comme approximation à peu près comparative, même si le nombre réel était le double, ce chiffre de 75 000 est effrayant. Il est donc difficile de croire qu’il s’agit d’une référence aux combattants uniquement.
Certes, le texte lui-même ne nous donne aucun renseignement concernant l’assassinat de femmes et d’enfants pendant les combats, mais nous pouvons néanmoins citer l’autorisation explicite donnée par Mordechaï de les tuer.
Cela est amplement suffisant, si l’on veut comprendre la teneur de tels chiffres pour un décompte approximatif des corps.

« [Il déclarait] que le roi autorisait les Juifs, dans chaque ville, à se rassembler et à défendre leur vie, en exterminant, en tuant et en détruisant tout attroupement de populace qui les attaquerait, y compris les femmes et les enfants, et à faire main basse sur leur butin. » (8:11)

Une comparaison à bon escient pourrait être faite avec l’épisode historique connu sous le nom de Vêpres Asiatiques. En 88 avant notre ère, Mithridate le Grand, roi du Pont (pays autour de la mer Noire) et d’Arménie Mineure, ordonna le massacre d’environ 80 000 résidents romains et italiens d’Anatolie et des îles de la mer Égée. L’action avait été fixée un mois après que ses fonctionnaires aient reçu l’ordonnance royale. Cela provoqua la première guerre mithriaque entre le royaume de Mithridate et Rome.

Ce nombre est très proche des chiffres rapportés dans la Méguila, surtout si l’on considère que les deux massacres ont ciblé, plus particulièrement, les populations provinciales. Si nous acceptons le décompte des morts ennemies de la Méguila, ces comparaisons suggèrent, en effet, un massacre à grande échelle.
La Torah nous enjoint d’être compatissants et soucieux des veuves et des orphelins, mais elle n’interdit jamais de tuer des femmes et des enfants étrangers, non hébreux, pendant la guerre, comme l’illustrent les cas suivants:

Les Sept Nations – La Torah ordonne aux Israélites – après avoir vaincu les sept nations cananéennes – de les détruire totalement, y compris vraisemblablement les femmes et les enfants (Deut 20, 16-17).
« Mais dans les villes de ces peuples que l’Éternel, ton Dieu, te donne comme héritage, tu ne laisseras pas subsister une âme. Car tu dois les vouer à l’extermination, le Héthéen et l’Amorréen, le Cananéen et le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen, comme te l’a commandé l’Éternel, ton Dieu. »

Les Amalécites – La Torah ordonne que tous les Amalécites soient abattus (Deut 25:19), et cela se produit lorsque finalement Saül tue tous les Amalécites y compris les femmes et les enfants, épargnant leur roi Agag (1 Sam 15).
« Maintenant, va frapper Amalec, et anéantissez tout ce qui est à lui; qu’il n’obtienne point de merci! Fais tout périr, homme et femme, enfant et nourrisson, bœuf et brebis, chameau et âne! » (V. 2)

Les Midianites –Moshé fustige les Hébreux pour ne pas avoir tué les femmes et les enfants midianites, et les enjoint de le faire (Num 31, 14-18).
« Et Moshé leur dit: « Quoi! Vous avez laissé vivre toutes les femmes? Ne sont-ce pas elles qui, à l’instigation de Balaam, ont porté les enfants d’Israël à trahir l’Éternel pour Baal-Peor, de sorte que la mort a sévi dans la communauté de l’Éternel? Et maintenant, tuez tous les enfants mâles; et toute femme qui a connu un homme par cohabitation, tuez-la. Quant à celles qui, encore enfants, n’ont pas cohabité avec un homme, conservez-les pour vous. »

Le royaume de Bashan et de Sih’on –
« Nous les frappâmes d’anathème, comme nous l’avions fait pour Sihôn, roi de Hesbon, condamnant toute ville où étaient des êtres humains, y compris femmes et enfants. » (Deut. 3, 3-6).

Même les habitants de Yavesh-Gilad connurent un sort similaire lorsque le conseil des tribus envoie ses armées:
« L’assemblée y envoya donc douze mille guerriers, en leur donnant cet ordre: « Allez à Jabès-Galaad, et passez les habitants au fil de l’épée, même les femmes et les enfants » (Juges 21:10)

La vengeance de Menahem – Le roi Menahem d’Israël a envahi une région qui ne le soutenait pas:
« Menahem, tout aussitôt, attaqua la ville de Tifsah et tout ce qui s’y trouvait, ainsi que sa banlieue depuis Tirça. Il sévit parce qu’elle n’avait pas ouvert ses portes et fit fendre le sein à toutes ses femmes enceintes. » (2 Rois 15:16).

Le récit de la Méguila se déroule bien plus tard que les évènements précités, toutefois, il n’est pas exagéré de penser que les sociétés belligérantes n’avaient probablement pas beaucoup évoluées à ce sujet. Compte tenu de nos sensibilités modernes, et des règles « déontologiques » de la guerre acceptées par la plupart d’entre nous comme références éthiques, la lecture de récits bibliques sur le massacre de femmes et d’enfants est d’autant plus difficile à consentir.

Passons à la justification de la campagne punitive elle-même: il s’agirait donc d’un acte d’autodéfense contre un pogrom anti-juif massif pré-planifié.
Après tout, les gens qu’ils cherchaient à tuer étaient des ennemis des Juifs et, sans le retournement de situation accepté par le roi, ils les auraient eux-mêmes tué sans discrimination aucune.
Par conséquent, l’opportunité légale de se défendre autorisa les juifs à massacrer leurs ennemis.
Nonobstant cette justification, la dure réalité dans la Méguila dépeint une opération offensive et agressive contre les ennemis des Juifs au cours de laquelle ces derniers tuèrent sans distinction, y compris les femmes et les enfants.
De nos jours, n’ayons pas peur de lire les textes anciens tels qu’ils sont, il n’y a aucune raison de nier le passé, le Judaïsme et la Torah sont assez solides pour résister aux vérités.
En fait, je dirais qu’il est injuste de juger les textes hébraïques anciens selon les droits et les devoirs d’aujourd’hui.
L’Hébraïsme est un projet national humain et universel capable de favoriser le développement d’une identité morale chez ses partisans, mais comme toutes choses, l’Hébraïsme n’existera et n’a jamais existé dans un quelconque espace vide. Dans un monde où les armées d’invasion ont détruit des villes, massacrant et/ou asservissant des ennemis, hommes, femmes et enfants, les Juifs ont fait de même.
Même si la guerre était justifiée, la guerre demeurait la guerre, et les conventions de la guerre pour les Juifs étaient plus ou moins les mêmes que pour les autres cultures: défaite totale et destruction totale.
En fin de compte, peut-être pourrions-nous répondre au massacre conformément au midrash ‘Esther Raba’. La dernière exégèse de cet ouvrage commence par une appréciation de la crainte de Dieu, qui permet « aux victimes de tuer leurs meurtriers, aux crucifiés de supplicier les responsables et aux noyés d’engloutir les coupables » (ce dernier étant une référence à la traversée de la mer Rouge). Elle se poursuit en révélant la profusion de miséricorde, d’empathie sensible, de justice et de bienveillance Divine.
Le Midrash se termine par une longue ode à la paix, peut-être conçue comme une critique subtile de l’effusion de sang avec laquelle la Meguila d’Esther elle-même se termine.

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