Alors que les îles grecques, Dubaï ou la Thaïlande ont longtemps constitué l’horizon naturel des vacanciers israéliens, une nouvelle tendance se dessine, radicale et fascinante : l’exploration des confins du globe. Des déserts fermés d’Asie centrale aux jungles vierges d’Afrique équatoriale, jusqu’aux archipels glacés battus par les vents australs, les Israéliens partent désormais pour des lieux où la civilisation moderne disparaît… et où les pingouins, les buffles et les gorilles remplacent les touristes.
Cette transformation du tourisme israélien — lente au départ, nette depuis la pandémie — révèle une quête profonde : celle d’un ailleurs authentique, brut, dépouillé, qui contraste avec un quotidien saturé d’incertitudes sécuritaires et d’hyperconnectivité.
Selon un rapport récemment publié par Aco – Issta Sport, leader des voyages d’aventure, la demande de séjours extrêmes a bondi de 35 % en deux ans. Les Israéliens cherchent désormais autre chose qu’un week-end confortable ou un « bain de soleil ».
« Ce n’est plus une simple parenthèse. C’est un voyage qui bouleverse, inspire, et laisse une marque durable », explique Ido Våg, PDG d’Issta Sport, cité par mako.
→ Source : https://www.mako.co.il
Ces nouveaux itinéraires, très éloignés des standards touristiques, requièrent une logistique lourde, un accompagnement professionnel et une préparation mentale. À l’arrivée, en revanche, l’expérience est incomparable : déconnexion totale, immersion culturelle, rencontres animales saisissantes, paysages intacts, absence d’infrastructures et de foule.
En d’autres termes : un retour à l’essentiel.
Turkménistan : l’Asie centrale sous cloche
Peu d’endroits au monde sont aussi mystérieux, isolés et réglementés que le Turkménistan, ancienne république soviétique aux portes de l’Iran.
Les Israéliens peuvent désormais s’y rendre plus facilement, depuis l’ouverture officielle en 2023 de l’ambassade d’Israël à Achgabat, une étape diplomatique importante dans cette région stratégique.
Mais rien, absolument rien, n’y ressemble au tourisme classique. La ville entière applique des règles parfois déroutantes :
- WhatsApp y est interdit ;
- l’accès Internet est minimal ;
- les voitures doivent être blanches par décret présidentiel ;
- les infrastructures hôtelières sont rudimentaires ou aléatoires.
Pourtant, les groupes guidés par les experts d’Aco témoignent d’une fascination rare.
« Ce n’est pas un voyage, c’est une expédition », confie Ania Kozlova, guide spécialiste. « Toute la magie réside dans l’imprévu : routes non asphaltées, villages figés dans le temps, coupures d’électricité, absence totale de connexion. Une véritable plongée dans un monde resté tel quel depuis des siècles. »
L’itinéraire classique commence par Achgabat, la capitale-mirage de marbre blanc, puis se poursuit dans les vestiges de la Route de la Soie, comme les cités antiques Merv et Anau, classées à l’UNESCO.
Mais le joyau du voyage, celui qui attire les aventuriers du monde entier, reste le « Portail de l’Enfer », le cratère de Darvaza — un immense gouffre enflammé en plein désert du Karakoum, brûlant sans interruption depuis les années 1970.
Le soir, les feux orangés qui dévorent ses parois transforment les dunes environnantes en cathédrales d’ombres et de lumière.
Coût moyen du voyage : 3.500 €.
Saison idéale : avril-mai ou septembre-octobre.
Gabon : l’Éden sauvage du continent africain
Plus confidentielle encore, la destination Gabon fait figure de miracle écologique :
88 % du pays est recouvert de forêt primaire, et les autorités limitent volontairement le nombre de visiteurs. Certains parcs nationaux n’autorisent l’entrée qu’à quatre personnes par jour.
Là-bas, explique l’explorateur israélien Dan « Dandan » Bolotin, tout doit être planifié au millimètre — vols internes, guides, bateaux — faute de quoi rien ne fonctionne. « C’est un pays cher, imprévisible, et totalement irrésistible », confie-t-il.
Ceux qui parviennent à y accéder vivent des scènes que peu d’humains au monde peuvent encore observer :
- gorilles des plaines qui s’approchent jusqu’à quelques mètres ;
- éléphants marchant sur la plage au crépuscule ;
- buffles de forêt circulant entre les arbres ;
- et surtout, le phénomène spectaculaire des tortues luth, les plus grandes au monde, qui viennent pondre sur les plages en janvier-février, certaines dépassant la tonne.
Le Gabon, souvent surnommé « le dernier paradis terrestre », expose aussi les voyageurs à des traditions tribales puissantes : rituels initiatiques, chants hypnotiques, cérémonies féminines de solidarité.
Les visiteurs décrivent une impression rare : être témoin d’un monde antérieur à la modernité, intact, sacré.
Coût moyen : 11.500 € par personne pour deux semaines.
Période idéale : décembre à février.
Îles Falkland : royaume glacial des manchots
À 1.500 km des côtes argentines, les îles Falkland demeurent l’un des lieux habités les plus isolés de la planète.
Région de vents féroces, de falaises austères et de tours de guet abandonnés depuis la guerre de 1982, l’archipel est aujourd’hui surtout connu pour sa biodiversité exceptionnelle.
Israël y envoie chaque année quelques groupes ultra-sélectionnés.
Selon Dandan Bolotin, « on y vit un basculement complet : l’humain n’est plus dominant. Les manchots, les lions de mer, les albatros et les otaries s’approprient littéralement le territoire. »
Ils s’approchent parfois à quelques mètres, indifférents à la présence humaine.
Mais atteindre ces îles relève du défi :
- les navires affrontent des mers capricieuses ;
- le brouillard bloque souvent les approches ;
- seules de petites expéditions de 12 personnes sont autorisées pour préserver l’écosystème.
La plupart des voyageurs combinent Falkland, Géorgie du Sud et Antarctique, un périple de près d’un mois, dont le prix — 21.095 $ — reflète l’exception totale de ce voyage.
Période idéale : décembre-février, quand les glaces s’ouvrent et que la faune est la plus active.
Pourquoi les Israéliens cherchent-ils désormais l’extrême ?
La transformation des habitudes touristiques ne doit rien au hasard. Trois facteurs majeurs la nourrissent :
1. La fatigue du tourisme de masse
Les destinations traditionnelles — Chypre, Grèce, Dubaï — sont saturées d’Israéliens. Pour un nombre croissant de voyageurs, la promesse d’un lieu « où l’on n’entend pas parler hébreu » devient un argument en soi.
2. La quête d’authenticité post-COVID
La pandémie a rappelé la fragilité des routines. Depuis, beaucoup veulent une expérience « vraie », qui change leur perception du monde — pas une simple évasion de quelques jours.
3. Le besoin psychologique d’échapper à la pression sécuritaire
Confrontés depuis des décennies au terrorisme et à la menace régionale, les Israéliens recherchent parfois des lieux où le bruit de fond de la tension disparaît totalement.
La jungle africaine, la steppe turkmène ou la banquise antarctique remplissent cette fonction mieux que n’importe quelle plage.
Un tourisme exigeant… mais libérateur
Les guides israéliens sont unanimes : ces voyages coûtent cher, demandent du courage, du temps et un encadrement strict. Mais ceux qui reviennent disent avoir vécu quelque chose de rare : un face-à-face avec le monde tel qu’il était avant nous.
Dans une époque saturée d’écrans, de menaces géopolitiques et de sursollicitations, ces destinations sont devenues une forme de respiration profonde — un moyen de se reconnecter à quelque chose d’infiniment plus grand que soi.
Et c’est peut-être là l’essentiel : un besoin de sens, incarné par des paysages où l’humain cesse d’être le centre du monde.






