Longtemps perçu comme un géant discret d’Asie centrale, le Kazakhstan opère depuis plusieurs mois un repositionnement spectaculaire sur l’échiquier international. Diplomatie active, ouverture économique assumée, investissements étrangers en forte hausse et explosion du tourisme : Astana ne se contente plus d’exister à la périphérie des grandes routes géopolitiques. Le pays s’installe progressivement au cœur des équilibres entre l’Occident, la Chine, la Russie et le Moyen-Orient, au point d’être désormais qualifié par certains analystes de « nouvelle Suisse de l’Eurasie ».

Le tournant le plus symbolique est intervenu récemment avec l’adhésion du Kazakhstan aux Accords d’Abraham, devenant ainsi le premier pays d’Asie centrale à rejoindre ce cadre diplomatique soutenu par les États-Unis. Si les relations entre Astana et Israël existent depuis l’indépendance du pays en 1991, cette décision marque un saut qualitatif. Elle inscrit clairement le Kazakhstan dans une logique de normalisation, de coopération économique et de dialogue interrégional, tout en envoyant un message fort à Washington et aux capitales européennes : le pays entend jouer un rôle de médiateur et de plateforme stable entre mondes parfois antagonistes.

Cette orientation est au cœur de la stratégie du président Kassym-Jomart Tokayev, qui promeut depuis son arrivée au pouvoir une politique étrangère dite « multivectorielle ». L’objectif est clair : entretenir des relations équilibrées avec les grandes puissances sans se placer sous la dépendance exclusive d’aucune. Dans un contexte de rivalités accrues entre la Chine et les États-Unis, et alors que la guerre en Ukraine a profondément bouleversé les équilibres régionaux, cette neutralité active apparaît aujourd’hui comme un atout stratégique majeur.

Sur le plan économique, les chiffres confirment ce changement de dimension. Avec un produit intérieur brut avoisinant les 300 milliards de dollars et près de la moitié des investissements étrangers directs de toute l’Asie centrale, le Kazakhstan s’impose comme un pôle de stabilité financière. Le Centre financier international d’Astana, fonctionnant selon les principes du droit anglo-saxon, attire banques, fonds d’investissement et acteurs de la finance verte. Les autorités misent sur la transparence réglementaire et la sécurité juridique pour capter des capitaux occidentaux, asiatiques et moyen-orientaux.

La richesse naturelle du pays reste un pilier fondamental. Le Kazakhstan détient environ 40 % de la production mondiale d’uranium, en plus d’importantes réserves de pétrole, de gaz et de minerais stratégiques essentiels aux technologies modernes. Mais la nouveauté réside dans la volonté affichée de dépasser le simple rôle de fournisseur de matières premières. Astana investit désormais dans la transformation industrielle, les énergies renouvelables, la numérisation et les technologies de pointe, souvent en partenariat avec des entreprises étrangères, y compris israéliennes.

Sur le plan géopolitique, le pays bénéficie aussi de sa position clé sur le « corridor médian », la grande route de transport trans-caspienne reliant la Chine à l’Europe en contournant la Russie. Le trafic de marchandises y progresse rapidement, et les projections indiquent un possible quadruplement des volumes d’ici la fin de la décennie. Cette fonction logistique renforce encore le rôle du Kazakhstan comme carrefour incontournable entre l’Asie et l’Occident.

Mais c’est sans doute dans le domaine du tourisme que le changement est le plus visible pour le grand public. Jadis destination confidentielle, le Kazakhstan attire désormais des voyageurs du monde entier. Des paysages spectaculaires autour d’Almaty, aux canyons de Charyn, en passant par les villes futuristes d’Astana, le pays séduit par sa diversité naturelle et culturelle. Les touristes indiens, sud-coréens et du Golfe affluent en nombre croissant, portés par des politiques de visas simplifiées, des prix attractifs et une amélioration rapide des infrastructures.

Cette dynamique touche aussi le Moyen-Orient et Israël. L’ouverture annoncée de nouvelles liaisons aériennes directes doit faciliter les échanges humains, touristiques et économiques. Pour les voyageurs israéliens, le Kazakhstan apparaît de plus en plus comme une destination sûre, moderne et dépaysante, offrant à la fois nature, culture et opportunités d’affaires.

L’image de « Suisse de l’Asie centrale » n’est pas seulement un slogan marketing. Comme la Confédération helvétique, le Kazakhstan cherche à capitaliser sur sa stabilité, sa neutralité diplomatique et sa capacité à accueillir dialogues et investissements internationaux. Des forums multilatéraux y sont régulièrement organisés, renforçant sa réputation de terrain neutre pour la négociation et la coopération.

Les défis demeurent néanmoins importants : inégalités régionales, dépendance persistante aux ressources naturelles, enjeux environnementaux et pressions géopolitiques constantes. Mais la trajectoire actuelle est claire. En quelques années, le Kazakhstan est passé du statut de pays périphérique à celui d’acteur central dans les équilibres eurasiens, combinant diplomatie habile, ouverture économique et attractivité touristique croissante.

Pour de nombreux observateurs, cette montée en puissance n’en est qu’à ses débuts. Si Astana parvient à maintenir sa stabilité interne et à poursuivre ses réformes, le Kazakhstan pourrait durablement s’imposer comme l’un des piliers stratégiques entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient, et comme un partenaire de plus en plus recherché sur la scène internationale.