Même après sa sortie du gouvernement, la machine du parti Shas continue de tourner à plein régime. Le ministère des Services religieux prépare une réforme explosive : l’annulation totale de la libéralisation du marché de la cacherout et sa nationalisation complète. Cette initiative créerait plus de 4 200 nouveaux postes publics pour les surveillants religieux, au coût estimé de 250 millions de shekels par an. Une décision qui, selon les experts, irait à l’encontre de toutes les promesses de transparence et de concurrence dans le domaine religieux.
Selon le projet de loi préliminaire transmis à la Knesset, l’État reprendrait le contrôle total du système de certification alimentaire.
La réforme introduite en 2021 par l’ancien ministre des Services religieux, Matan Kahana, sous le gouvernement de l’union Bennett-Lapid, devait au contraire ouvrir le secteur à la concurrence et réduire les coûts pour les consommateurs. Elle prévoyait que des organismes privés agréés puissent délivrer leur propre label de cacherout, sous supervision du grand rabbinat d’Israël. Mais cette réforme n’a jamais vu le jour : dès décembre 2022, avec le retour du Shas au pouvoir, le ministre Mikhaël Malkieli en a décrété la suspension immédiate.
Le texte publié avant la session de la Cour suprême de ce jour — où le réseau de cacherout du mouvement Tzohar demande l’application de la réforme Kahana — annonce clairement l’intention du Shas : restaurer le monopole de la Rabbanout.
Selon le projet, seuls le grand rabbinat et les conseils religieux locaux auront désormais le droit d’octroyer une certification. Les rabbinats privés ou indépendants, même ceux déjà actifs, seraient exclus du système. Les 4 200 surveillants (mashgihim) seraient embauchés directement comme fonctionnaires, ce qui doublerait le nombre d’employés du ministère des Services religieux.
Ce plan, décrit par le Calcalist comme un “loi des emplois version Shas”, va à rebours de la logique économique actuelle. Les économistes du ministère des Finances ont dénoncé une proposition « sans justification économique », rappelant qu’elle engagera l’État sur des dépenses fixes colossales dans un contexte de déficit croissant.
Un rapport publié dès 2015 par le comptable Yoram Abramzon à la demande du Trésor estimait déjà le coût annuel du système de cacherout israélien à 3,4 milliards de shekels, dont 600 millions directement liés au monopole rabbinique. Aujourd’hui, selon les ONG de transparence, ce chiffre dépasserait 4 milliards.
La réforme Kahana devait casser ce modèle opaque :
– les entreprises certifiées ne devaient plus employer directement les surveillants ;
– des labels alternatifs (plus stricts ou plus souples) devaient être reconnus ;
– la Rabbanout devait devenir régulateur et non fournisseur de cacherout ;
– et les rabbins locaux pouvaient octroyer la certification hors de leur juridiction, favorisant la concurrence et la baisse des prix.
Tout cela devait alléger le coût de la vie, particulièrement sur la viande, les produits laitiers et la restauration.
Mais l’accord de coalition signé avec le Shas en 2022 a enterré ces ambitions. Depuis, la réforme est gelée tous les six mois par décret ministériel. Et à la veille du débat devant la Cour suprême, le ministère a transmis un nouveau mémorandum qui entérine la fin du pluralisme dans le secteur.
Le rabbin Emanuel Gadge, directeur du département cacherout de Tzohar, dénonce une dérive politique :
« Cette loi perpétuera la corruption dans le système de la cacherout. Nous continuerons de payer pour des contrôles inexistants et pour un népotisme institutionnalisé. Les partis distribueront les postes comme des récompenses politiques. »
Le chercheur Tani Frank, directeur du Centre Judéité et État de l’Institut Hartman, abonde dans le même sens :
« En pleine guerre, au moment où l’État taille dans les budgets, le ministère trouve le temps de détruire la seule réforme qui allait dans le sens de la transparence. Ce retour du monopole du Grand Rabbinat va alourdir la dette publique et renforcer l’emprise politique du Shas. C’est un désastre pour la société israélienne. »
Le projet a été déposé sans coordination avec le Trésor ni consultation des acteurs du marché alimentaire. L’opposition parle déjà d’un « cadeau aux appareils partisans » et d’un « sabotage économique sous couvert de religion ».
Mais pour le Shas, cette nationalisation répond à une nécessité : garantir que la cacherout reste sous contrôle public et spirituel, et non livrée aux « intérêts commerciaux ».
Au-delà de la question religieuse, cette réforme illustre une tendance lourde en Israël : la reconquête de l’État par les partis ultra-orthodoxes, jusque dans les rouages administratifs. Une bataille symbolique entre deux visions du pays — celle de la modernité libérale et celle du retour à la tutelle rabbinique.






