Une découverte bouleversante vient d’être annoncée par l’Université de Tel-Aviv : deux manuscrits éthiopiens juifs vieux de plus de six siècles, appelés Orit Sfarim, viennent d’être numérisés pour la première fois et rendus accessibles au public mondial.
Ces textes rares, rédigés au XVe siècle dans la langue guéèze (l’ancêtre du tigrinya et de l’amharique), contiennent le Pentateuque, les livres de Josué, des Juges et de Ruth, des textes bibliques sacrés utilisés jusqu’à aujourd’hui dans certaines synagogues de la communauté Beta Israël, les Juifs d’Éthiopie.
Un trésor spirituel caché dans les foyers des kessim
Les chercheurs du département d’études bibliques de l’Université de Tel-Aviv ont retrouvé ces textes dans les maisons privées des kessim, les guides spirituels des Juifs éthiopiens installés en Israël.
Ces manuscrits avaient été transportés clandestinement hors d’Éthiopie dans les années 1980, lorsque le régime militaire de Mengistu persécutait la communauté juive.
Selon les chercheurs, les familles ont risqué leur vie pour sauver ces rouleaux, considérés comme la mémoire vivante du peuple Beta Israël.
Les Orit Sfarim constituent l’équivalent des Sifrei Torah (Livres de la Loi) utilisés par les Juifs éthiopiens avant leur aliyah.
Chaque rouleau, soigneusement calligraphié à la main sur des parchemins de cuir, témoigne d’une fidélité inébranlable à la Torah, transmise hors du monde rabbinique traditionnel, dans un isolement géographique et culturel long de plus de 2 000 ans.
Une découverte majeure pour la recherche biblique
Le projet, baptisé « Tofsei ha-Orit » (Les gardiens de l’Orit), vise à étudier, préserver et partager ce patrimoine unique.
La chercheuse principale, Dr Dalit Rom-Shiloni, explique :
« Nous savions qu’il existait des manuscrits religieux très anciens en Éthiopie, mais tous ceux retrouvés jusqu’ici étaient chrétiens.
Ces textes juifs, eux, sont une révélation : ils datent de plus de 600 ans et prouvent la richesse théologique propre à la communauté Beta Israël. »
La numérisation, achevée cette année, permettra aux chercheurs et au grand public d’accéder gratuitement à ces documents via une plateforme académique internationale.
Chaque page a été scannée à haute résolution pour préserver les moindres détails : encres naturelles, symboles rituels, notes marginales en guéèze — une langue que seuls les kessim continuent à maîtriser aujourd’hui.
Les derniers gardiens de la tradition
Selon le rapport du projet, il ne reste plus que 18 kessim formés en Éthiopie avant les grandes opérations d’évacuation (Moïse et Salomon) des années 1984-1991.
Ces sages âgés, installés principalement à Kiryat Malakhi, Netanya, et Beersheva, sont les derniers détenteurs d’une tradition orale et liturgique plusieurs fois millénaire.
« Si nous n’agissons pas vite, nous perdrons un trésor culturel irremplaçable », avertit Dr Rom-Shiloni.
« Chaque texte, chaque prière, chaque geste rituel que ces hommes transmettent est une fenêtre ouverte sur un judaïsme ancien, pur, resté intact depuis l’époque du Premier Temple. »
Les chercheurs prévoient désormais de retrouver d’autres exemplaires encore conservés par des familles Beta Israël en Israël et à l’étranger, afin d’enrichir cette bibliothèque numérique du judaïsme éthiopien.
Un judaïsme resté fidèle malgré l’exil
Les manuscrits découverts révèlent un monde parallèle du judaïsme, développé loin de Jérusalem et de Babylone, sans contact direct avec le Talmud ni les rabbins médiévaux.
Les Juifs d’Éthiopie pratiquaient leur foi à partir des Orit, des livres sacrés traduits du texte biblique hébreu vers le guéèze.
Ils observaient le Shabbat, la cacherout, les fêtes de Pessa’h et de Sukkot, et respectaient des lois de pureté proches de celles du Lévitique, mais selon leurs propres traditions orales.
Malgré les persécutions, les conversions forcées et la pauvreté, la communauté Beta Israël a survécu grâce à son lien indéfectible à ces manuscrits.
Chacun d’eux était considéré comme une présence divine vivante, transportée secrètement de village en village, protégée des soldats et des pillards.
De l’ombre à la lumière
Aujourd’hui, ces textes entrent dans une nouvelle ère : celle de la reconnaissance et du partage universel.
La mise en ligne prochaine des Orit Sfarim permettra à des milliers de chercheurs, d’historiens et d’élèves juifs à travers le monde de découvrir l’héritage biblique africain d’Israël.
Ce travail de sauvegarde n’est pas seulement scientifique — il est identitaire.
Il raconte l’histoire d’un peuple fidèle à la Torah malgré l’exil, les montagnes et l’oubli.
« Les Beta Israël n’ont jamais cessé de se considérer comme des enfants d’Israël », souligne Dr Rom-Shiloni.
« Ces manuscrits prouvent qu’ils ont continué à étudier, à prier et à croire — sans jamais rompre le lien avec la source juive. »
En révélant ces textes au monde, Israël rend hommage à une communauté trop souvent marginalisée, mais qui incarne peut-être mieux que toute autre la persévérance du peuple juif.







