La scène a de quoi laisser perplexe. À Tenerife, dans un hôtel quatre étoiles, des vacanciers britanniques ont passé la nuit entière sur des transats afin d’assurer leur place au bord de la piscine. Cet épisode ubuesque illustre la radicalisation de la fameuse « guerre des serviettes », devenue un fléau touristique dans plusieurs destinations méditerranéennes.
À l’origine, il ne s’agissait que d’un petit travers : déposer une serviette dès l’aube pour réserver un transat. Mais la pratique, répandue depuis des années dans les stations balnéaires d’Espagne, de Grèce ou de Turquie, a pris une ampleur démesurée. Au GF Fañabé, hôtel réputé de Tenerife, les transats étaient déjà occupés – ou plutôt recouverts de serviettes – trois heures avant l’ouverture officielle de la piscine. Face à ce constat, un touriste britannique, Ben Smith, a immortalisé la scène. « Les gens dorment sur les transats pour garder leur place », a-t-il confié au site Luxury Travel Daily. « Comme l’hôtel retire les serviettes abandonnées sans surveillance, certains préfèrent rester couchés dessus, toute la nuit. »
L’homme décrit une spirale absurde alimentée par l’égoïsme : « Ils créent eux-mêmes le problème qu’ils prétendent éviter. Si personne ne réservait inutilement, il y aurait assez de transats pour tout le monde. » Selon lui, la majorité des chaises longues restent désertes pendant des heures, recouvertes de serviettes fantômes qui empêchent les autres clients d’en profiter. « Un jour, on n’a obtenu qu’un seul transat pour trois personnes. Une dame a fini par nous en céder un, qu’elle n’utilisait pas. Mais pourquoi sa serviette y était-elle posée ? »
Le phénomène n’est pas isolé. De Tenerife à Lanzarote, en passant par la Costa Blanca, les établissements espagnols affrontent la même querelle estivale. Les scènes de disputes éclatent parfois dès l’ouverture des piscines, donnant lieu à ce que la presse locale surnomme des « courses de serviettes ». Une mère de famille avait même déclenché un tollé en réservant huit transats à elle seule pour ses six enfants, suscitant l’ire des autres vacanciers.
Les autorités espagnoles commencent à serrer la vis. À Barcelone, mais aussi sur certaines plages de la Costa Blanca, des arrêtés municipaux sanctionnent désormais la réservation abusive. Les contrevenants risquent une amende de 250 euros – environ 1 000 shekels – et la police est autorisée à saisir serviettes, parasols et objets personnels laissés sans surveillance avant 9h30. Les affaires confisquées ne sont restituées qu’après paiement du montant. Une mesure dissuasive destinée à ramener un minimum de civilité.
Pour les hôteliers, l’équation est complexe. D’un côté, ils redoutent la mauvaise publicité de clients frustrés par l’indisponibilité des transats. De l’autre, ils doivent arbitrer entre discipline et satisfaction client. Plusieurs établissements testent des solutions : ticket numéroté, durée d’occupation limitée, surveillance renforcée. D’autres vont plus loin, interdisant purement et simplement toute réservation anticipée, quitte à s’aliéner certains habitués.
Cette « guerre des serviettes », au-delà du folklore estival, dit beaucoup sur la mondialisation du tourisme de masse. Elle met en lumière la tension entre l’individualisme des vacanciers et la nécessité de règles collectives. Dans un contexte où l’Europe du Sud accueille chaque été des millions de visiteurs, la gestion de l’espace public – plage, piscine, transats – devient un enjeu de cohabitation presque politique.
Certains sociologues du tourisme y voient le reflet d’une société anxieuse, où chacun veut sécuriser son « territoire » face à la foule. « La serviette, posée à l’aube, est un drapeau miniature », explique un universitaire espagnol. « Elle symbolise la conquête d’un espace, même au prix du ridicule. » Un parallèle ironique avec les grandes rivalités géopolitiques : l’obsession du contrôle d’un morceau de territoire, fût-il un simple transat en plastique.
En attendant, les images de vacanciers dormant sur des transats circulent sur les réseaux sociaux, suscitant autant de moqueries que d’indignation. Pour les uns, elles illustrent la décadence des loisirs contemporains. Pour d’autres, elles ne sont qu’une anecdote estivale. Mais derrière l’anecdote, une réalité demeure : la course au soleil et à l’espace, dans un monde de plus en plus saturé, ne connaît décidément pas de trêve.






