Il arrive que l’on soit confronté à des situations qui bousculent notre compréhension du monde et de la justice. L’histoire de cette femme en est un exemple frappant : connue depuis des années dans son quartier pour ses actions de ’hessed – organiser des collectes, cuisiner pour les nécessiteux, aider sans compter – elle se retrouve aujourd’hui veuve, élevant seule deux enfants ayant des besoins particuliers, et dépend elle‑même de l’aide d’autrui.

Ses amis et voisins la voient lutter au quotidien. Un jour, on l’a même entendue prier à voix haute : « Pourquoi Hachem ne me récompense‑t‑Il pas pour tout le bien que j’ai fait ? » Sa question est lourde : comment comprendre qu’une vie donnée aux autres puisse être marquée par la souffrance ?

Une interrogation ancienne et universelle

Cette question traverse toute l’histoire biblique et rabbinique. Avraham a demandé : « Le Juge de toute la terre ne rendra‑t‑Il pas justice ? » (Beréchit 18,25). Moché et Aharon se sont étonnés : « Un seul homme a péché, et Tu T’irriterais contre toute l’assemblée ? » (Bamidbar 16,22). Le prophète Jérémie a exprimé : « Pourquoi la voie des méchants prospère‑t‑elle ? » (Jérémie 12,1).

Les Sages ont résumé cette interrogation par : « Tsadik véra lo, racha vétov lo » – un juste qui souffre, un méchant qui réussit. La Guemara (Berakhot 7a) rapporte que Moché demanda à Hachem d’expliquer ce phénomène. La réponse initiale distingue entre « juste complet » et « juste imparfait », mais Rabbi Meïr rappelle que la logique divine dépasse nos critères humains : « Je fais grâce à qui Je fais grâce, même s’il ne le mérite pas ».

Ne pas rester prisonnier du « pourquoi »

Le Rav Joseph B. Soloveitchik, réfléchissant à cette question, reconnaissait que dire simplement « Seul Hachem sait » n’apporte pas toujours de réconfort à celui qui souffre. Il proposait de déplacer le regard : au lieu de chercher la cause du malheur, demander « Que dois‑je faire maintenant ? Comment réagir pour ne pas sombrer ? »

Dans cette perspective, la souffrance devient, sans la justifier, une opportunité de croissance : purifier ses intentions, renforcer sa foi, développer encore plus de compassion envers autrui.

La récompense du bien n’est pas toujours visible

Il est essentiel de se rappeler que la valeur d’une vie de ’hessed ne se mesure pas uniquement aux résultats visibles ou à une récompense matérielle. Faire le bien est déjà, en soi, source de satisfaction, de dignité et de sens. Comme le disent nos Sages : « Hachem ne prive aucune créature de sa récompense » (Baba Kama 38b) – parfois cette récompense est spirituelle, parfois différée, parfois invisible à nos yeux.

Voir ce que nous pouvons faire

Les approches modernes de mindfulness et de pensée positive rejoignent cette idée : concentrons‑nous sur ce qui est à notre portée, plutôt que sur ce qui nous échappe. Cette femme, malgré la douleur, continue à illuminer la vie d’autrui. Sa force est dans cette continuité : se savoir fidèle à une voie droite et éthique, rester reliée à Hachem, et ne pas perdre de vue qu’elle compte pour les autres.

En fin de compte, la question du « pourquoi » restera peut‑être sans réponse. Mais celle du « comment » – comment continuer à aimer, à donner, à vivre malgré tout – dépend de nous. Et c’est dans cette réponse‑là que réside la véritable grandeur.

Sources :