Alors que la guerre initiée en octobre 2023 continue de faire rage, une autre bataille – plus silencieuse mais tout aussi brutale – émerge dans les coulisses : celle des soldats brisés, des esprits fracturés, et d’un système d’État débordé. Les témoignages de vétérans, les chiffres alarmants, les tentatives de suicide et les cris d’alerte d’Itzik Saidian – lui-même survivant d’un acte de désespoir devenu symbole – dessinent un constat glaçant : Israël fait face à une vague de traumatismes psychologiques sans précédent, et personne ne semble préparé à l’ampleur du tsunami à venir.

Dans les hôpitaux de rééducation et les maisons des anciens combattants, des dizaines de milliers de soldats, réservistes et jeunes recrues tentent de reprendre pied dans une société qui, parfois, préfère ne pas les regarder. D’ici fin 2028, Israël pourrait compter jusqu’à 50 000 soldats souffrant de stress post-traumatique sévère. Ce chiffre – jusqu’alors inimaginable – est le fruit d’une guerre prolongée, d’un soutien insuffisant et d’un abandon administratif trop souvent dénoncé par les premiers concernés.

Prenons le cas bouleversant de Nir Cohen, 59 ans, vétéran de la guerre du Liban blessé en 2024 à Hula, après avoir volontairement renoncé à son exemption de réserve. Sept poches de sang transfusées, des blessures neurologiques et orthopédiques, mais surtout des cicatrices invisibles. « Les douleurs mentales sont plus profondes que les douleurs physiques », confie-t-il. Sur la plage, au simple bruit d’un hélicoptère, il revit les scènes de combat, les hurlements, l’angoisse. « Les démons sont là, tout le temps. »

Autre histoire, celle d’Ori (prénom changé), 21 ans, combattant dans le génie militaire, blessé physiquement puis abandonné pendant une semaine au cœur de Khan Younès. Ce n’est qu’à son retour, après une errance solitaire, qu’il est enfin soigné – mais surtout diagnostiqué comme victime de traumatisme. « La bureaucratie est inhumaine, je me bats pour chaque droit », raconte-t-il. Libéré depuis un an, il n’a toujours pas repris une vie normale. Pas de travail, pas d’études, « juste des pensées qui tournent en boucle ».

Noam Friedman, 34 ans, père de trois enfants, blessé gravement par une grenade, évoque quant à lui la dimension totale du choc : physique, mental, cognitif, professionnel, familial. « Quand la guerre s’arrêtera, beaucoup comprendront trop tard ce qu’ils portent sur leurs épaules. »

Le point commun entre ces histoires ? Un sentiment d’abandon. Des hommes qui ont combattu 200 jours, vu leurs camarades mourir, et qui désormais se sentent effacés, dépassés par des services de réhabilitation qui n’ont plus les moyens, ni humains ni structurels, de répondre à la demande. Et pourtant, tous parlent d’un besoin simple : être entendus, reconnus, traités avec dignité.

C’est ce que tente de faire Itzik Saidian. Quatre ans après s’être immolé par le feu devant le bureau du ministère de la Défense, il consacre son temps à soutenir d’autres blessés psychiques. Deux d’entre eux, qu’il a tenté d’aider, se sont récemment suicidés. « Je n’ai pas de baguette magique, mais j’essaie d’écouter, d’être là. Le mental est plus dur à soigner que le corps », dit-il. Et d’ajouter : « Quand un otage revient, il est accueilli comme un héros. Mais un soldat revenu vivant de l’enfer ? On le regarde comme un numéro de dossier. »

Selon lui, la réforme « Nefesh Ehad » (Une âme) censée améliorer la prise en charge stagne dans les tiroirs. Les files d’attente pour intégrer des « maisons équilibrantes », structures de soutien psychologique, explosent : plus de 300 personnes attendent déjà. Le nombre de demandes a triplé depuis le 7 octobre, et pourrait encore être multiplié par six dans l’année à venir.

La guerre contre le Hamas a fait voler en éclats la santé mentale collective. Pourtant, l’État – tout comme la société civile – semble paralysé par l’ampleur. Car le traumatisme n’a pas de drapeau, pas de décorations. Il ne fait pas de bruit. Il détruit de l’intérieur, en silence. Le cri de ces hommes est pourtant limpide : ils veulent vivre. Pas juste survivre.

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