Plus de deux siècles après la désastreuse retraite de Russie, la science apporte une réponse inattendue à l’un des plus grands mystères militaires de l’Histoire. Une étude publiée dans la revue Current Biology a permis d’analyser l’ADN de treize soldats de l’armée napoléonienne retrouvés dans une fosse commune à Vilnius, en Lituanie, sur la route du repli de Moscou en 1812. Les résultats bouleversent les certitudes : les hommes de Napoléon ne sont pas morts du typhus, comme on le croyait, mais de deux infections bactériennes méconnues à l’époque.
Les chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Institut Pasteur, dirigés par le Dr Nicolas Rascovan, ont extrait puis séquencé de minuscules fragments d’ADN piégés dans les dents des soldats. Après avoir éliminé les contaminations du sol, ils ont identifié la présence de deux agents pathogènes : Salmonella enterica, responsable de la fièvre entérique (ou paratyphoïde), et Borrelia recurrentis, bactérie transmise par le pou du corps, à l’origine de la fièvre récurrente.
Autrement dit, les soldats succombaient à des infections intestinales et sanguines aiguës, aggravées par la faim, le froid et l’absence d’hygiène.
« C’est émouvant de pouvoir diagnostiquer, grâce à la génétique moderne, ce qui a emporté ces hommes il y a plus de 200 ans », explique le Dr Rascovan.
« On pensait depuis toujours au typhus, mais nos analyses ne montrent aucune trace du Rickettsia prowazekii, la bactérie responsable de cette maladie. »
Ces conclusions contredisent des décennies de recherches historiques et médicales. Depuis le XIXᵉ siècle, les médecins militaires attribuaient les ravages de la campagne de Russie au typhus et au scorbut, favorisés par les poux et les conditions extrêmes. Mais la nouvelle étude montre que les soldats étaient frappés par d’autres souches infectieuses, probablement véhiculées par les mêmes parasites, mais aux effets tout aussi dévastateurs.
Les scientifiques ont également établi un lien inattendu entre les bactéries retrouvées dans les restes napoléoniens et des souches très anciennes découvertes en Grande-Bretagne :
« La lignée de Borrelia recurrentis que nous avons identifiée remonte à plus de 2 000 ans, jusqu’à l’époque de l’âge du fer », précise Rascovan.
« Cela montre que certaines maladies humaines ont survécu des millénaires en Europe, bien avant les épidémies modernes. »
Les données génétiques obtenues grâce à la technologie du « paléo-ADN » ouvrent ainsi une nouvelle fenêtre sur les catastrophes sanitaires des guerres passées.
Cette approche permet d’étudier des pathogènes disparus sans dépendre des textes ou des symptômes rapportés par les témoins. En recoupant les résultats avec les journaux des officiers et les registres d’hôpitaux militaires, les chercheurs estiment que les épidémies ont tué davantage de soldats que les combats eux-mêmes : sur 500 000 hommes partis à l’invasion, moins de 40 000 ont survécu.
L’étude, financée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le Conseil européen de la recherche (ERC), illustre la puissance de la génétique pour revisiter les grandes pages de l’histoire humaine.
Elle montre aussi combien les microbes ont façonné le destin des empires : dans le cas de Napoléon, plus encore que les armées russes, ce sont les bactéries qui ont vaincu la Grande Armée.
Cette découverte, saluée par la communauté scientifique, replace la médecine au cœur de la compréhension des guerres du passé.
Elle éclaire d’un jour nouveau la célèbre phrase de Napoléon : « Les soldats marchent sur leur estomac ». En 1812, ils sont surtout morts de ce qu’ils mangeaient — ou de ce qu’ils ne pouvaient plus digérer.
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