« Où sont passées les bases ? » demandait avec émotion un auditeur lors d’une émission radiophonique israélienne diffusée cette semaine avec Guy Peleg. À travers sa voix tremblante, c’est toute une inquiétude nationale qui s’exprime : celle d’un pays dont les enfants grandissent dans une réalité anormale, marquée par la pandémie, les alertes rouges et les visages endeuillés.
Depuis le début de la crise du Covid-19 en 2020, en passant par les conflits répétés avec Gaza, le Liban et plus récemment l’Iran, les enfants israéliens – et plus largement ceux de la région – vivent au rythme des fermetures d’écoles, des abris anti-missiles, et des pertes humaines. Le système éducatif, aussi résilient soit-il, montre aujourd’hui des signes clairs d’essoufflement.
Trois années de discontinuités
L’épidémie mondiale de coronavirus avait déjà fortement secoué les fondements de l’apprentissage. En Israël, comme ailleurs, l’enseignement à distance avait remplacé l’école traditionnelle. Si les adultes ont rapidement retrouvé leurs repères, pour les plus jeunes, cela a marqué le début d’un éloignement progressif du monde scolaire.
« Les élèves de CE2 aujourd’hui étaient en maternelle quand tout a commencé. Ce sont trois années critiques qu’ils ont vécues dans l’incertitude », déclare Michal Ben Tzur, enseignante à Jérusalem. « Et ensuite, on a replongé dans une guerre qui ne s’arrête pas. »
Depuis l’attaque du 7 octobre 2023, la guerre est devenue un arrière-plan constant. Certains enfants ne dorment plus dans leur chambre, mais dans des espaces protégés. D’autres ne fréquentent plus l’école régulièrement, par peur ou parce que leur établissement se situe dans une zone trop exposée.
Des enfants confrontés à la mort trop tôt
« Les petits ne devraient pas penser à la mort », poursuit l’auditeur. Pourtant, pour nombre d’enfants israéliens, l’angoisse est quotidienne. Une sirène peut retentir à tout moment. Des amis de classe peuvent perdre des parents soldats. Des missiles tombent à quelques rues de chez eux.
Psychologues et éducateurs tirent la sonnette d’alarme. Les symptômes de stress post-traumatique se multiplient, même chez les plus jeunes. « On voit une hausse des crises de panique, des troubles du sommeil, et un repli émotionnel », confirme le Dr Orna Regev, pédopsychiatre à Tel-Aviv.
Une jeunesse empêchée d’apprendre
Sur le plan purement scolaire, les effets sont désastreux. Les évaluations nationales montrent un recul significatif des acquis fondamentaux en mathématiques, en hébreu et en sciences. Les enseignants peinent à compenser. Les absences se cumulent. Les parents, débordés eux-mêmes, n’ont pas toujours les moyens d’aider.
« Ce n’est pas une génération perdue, mais une génération blessée », analyse le sociologue Arnon Ilouz. « Elle aura besoin de réparation, de soutien psychologique, de temps et surtout de stabilité – une denrée rare actuellement. »
Et l’avenir ?
Le cri du cœur de cet auditeur n’est pas isolé. Il reflète une prise de conscience croissante dans la société israélienne : la guerre ne fait pas que tuer, elle détruit aussi silencieusement l’avenir des plus jeunes.
Dans ce contexte, des voix s’élèvent pour appeler à un plan national de relance éducative, doublé d’un programme de soutien émotionnel dans les écoles. L’idée serait de considérer chaque enfant comme un survivant, un porteur de traumatisme latent, et de traiter l’éducation non seulement comme une transmission de savoirs, mais aussi comme un acte de reconstruction sociale.
Une responsabilité collective
« Où sont les dirigeants du monde ? » s’interroge encore l’auditeur. Sa question mérite d’être amplifiée. La communauté internationale doit prendre la mesure des ravages invisibles de cette guerre prolongée. Les droits des enfants à l’éducation, à la sécurité et au bien-être doivent rester non-négociables, même au cœur du conflit.
Israël, de son côté, devra répondre à ce défi immense : comment protéger, soigner et instruire une génération qui a grandi dans le chaos ?
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